Prologue, ou le début de la fin

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— ...C'est une blague,  j'espère ? Je te préviens tout de suite, je n'y mettrai pas les pieds. Et puis sérieusement, c'est quoi cette idée à la noix ?! Tu l'as trouvé où, ce psy ?!

— Je pense au contraire que c'est une excellente idée, et il a fait ce qu'il a pu face à ta mauvaise volonté, répliqua ma mère, blasée.

J'ouvris la bouche pour continuer le débat, puis la refermai : ça ne sert à rien de discuter avec ma mère, elle est toujours persuadée d'avoir raison. Je suis très bien placée pour parler, je tiens cela d'elle.

Malheureusement pour moi, je n'avais pas ses nombreuses années d'expérience en longs discours assommants. Une technique peu subtile, mais efficace pour faire acquiescer son adversaire à tous ses dires. Pour que vous vous représentiez bien l'ampleur du phénomène, je vous partage, dans ma grande bonté, une de mes citations préférées :

« Velanita ! Tu peux me dire ce que tu fais vautrée dans le canapé alors qu'il fait super beau dehors !? Tu pourrais en profiter pour sortir, franchement, pour une fois qu'on a du soleil ! Tu as vraiment besoin de bronzer d'ailleurs, tu ressembles à un cachet d'aspirine ! Et tu as vu comment tu es habillée !? On est en juin et tu portes encore du noir ! Et c'était quand la dernière fois que tu as mis autre chose qu'un jean !? Franchement, tu pourrais faire un effort ! Et souris un peu ! Tu m'étonnes que les gens de ton âge ne t'apprécient pas si c'est l'expression que tu as tous les jours ! Et donne moi ce bouquin, tu m'énerves à faire semblant d'écouter ce que je dis ! J'en peux plus d'être toujours derrière toi à te pousser à bouger ! Pire qu'un légume ! Il faut que tu te prennes en main, tu as 17 ans, il serait temps ! Je ne parle pas de tes résultats, à part les notes de participation qui sont catastrophiques, je parle de ton comportement ! Tu es désagréable, ça va te porter préjudice et te suivre toute ta vie ! Je sais plus quoi faire, ce serait plus simple si tu disais ce que tu as sur le cœur plutôt que de te renfermer sur toi même comme ça ! J'aimerai aussi que tu... »

Arrêtons-nous là, je pense que c'est amplement suffisant. En tout cas sachez que ceci n'est qu'un minuscule extrait de ce que je subis chaque jour !

Lasse de s'égosiller pour rien, ma mère avait donc fini par en arriver à vouloir contacter un "professionnel". C'est-à-dire un psychologue. Comment un inconnu, malgré tous ses diplômes, pourrait réussir à mieux me comprendre que ma propre mère ? De plus, ce n'est pas parce que je ne correspondais pas vraiment à son image idéalisée de la fille parfaite que j'avais un problème pour autant. Malheureusement, mon adversaire n'eût à prononcer que quelques mots pour que le psy embraye sur l'importance de me faire sortir de ma zone de confort. J'avais manqué m'étouffer. Quelle zone de confort ?! Si j'ai le malheur d'être tranquille deux heures, on me hurle dessus ou mes soeurs viennent m'enquiquiner !  Comprenant que je ne ferai pas du psy un allié, je me murai dans un silence boudeur et il n'obtint rien de plus de moi.

Au bout d'une heure, ma mère était convaincue qu'il fallait m'envoyer dans une colonie de vacances, évidemment celle recommandée par mon bourreau. Pour résumer, j'allais me retrouver avec "énormément d'autres jeunes de mon âge, bien sûr très bien encadrés par une équipe de moniteurs sympas et à l'écoute" ce qui me "forcera à m'ouvrir aux autres et à tisser des liens".

Le rêve.

J'avais tout essayé, ma mère était intraitable. De la crise au mutisme, en passant par la grève de la faim, toutes les méthodes de protestation raisonnables avaient été tentées. Je suis très têtue. Un autre trait que ma mère et moi avions en commun, hélas. Mon père se rangea rapidement de son côté, malgré mes plaidoiries plutôt convaincantes. Seulement la perspective de retrouver une ambiance calme et sereine à la maison grâce à mon absence fit pencher la balance en ma défaveur. Quant à mes sœurs, je ne pense pas qu'elles avaient pleuré mon départ. À moins d'avoir coupé des oignons avant.

Et c'est ainsi que je me retrouvai à la gare, traînant mes deux valises et mon sac à dos, devant une bande de ouistitis surexcités et un groupe de jeunes adultes au sourire Colgate . L'un d'eux s'avança vers moi pour m'aider avec mes bagages, pendant que les autres s'écriaient en cœur :

— Bienvenue en colo !

En voyant ma tête, leur sourire se fit un peu crispé. Je ne me promène pas tout le temps avec un miroir, mais j'imagine assez bien à quoi je devais ressembler. Regard de tueuse, avec les cernes de cadavre en bonus, la bouche inhumainement soumise à la pesanteur et la tignasse en fureur... En même temps, leur accueil me faisait penser à un : "Bienvenue en enfer !". Je décidais de rester fidèle à moi-même et de pourrir l'ambiance, aussi je répondis, en faisant la moue, un très enthousiaste :

— Super...

J'accompagnai mon cri de joie d'un mouvement très lent ayant pour but de lever mon pouce et laissai aussitôt mon bras retomber le long de mon corps. Je m'adossai au mur du fond négligemment avec une lenteur appliquée qui faisait penser à la démarche traînante d'un zombie et baillai bruyamment. Soudain je vis que tous m'observaient. Je leur lançai immédiatement un regard noir tout en soupirant.

Courage, c'est juste un été ! tenta mon côté optimiste. Évidemment c'est celui que j'écoute le moins. Voire pas du tout.

Tu parles, ce sera l'été le plus long de ta vie, ouais !  répliqua mon côté pessimiste, en accentuant sur le mot long.

J'acquiesçai silencieusement et sortis mon iPod, l'arme indispensable pour ne pas être dérangée. Dérangée par d'autres personnes, parce que dérangée au sens timbrée, je l'étais. Complètement. Casque vissé sur les oreilles, je laissais mon esprit dériver, pensant avec mélancolie à mon lit bien douillet ainsi qu'à ma bibliothèque. Les vacances allaient être bien longues...

"Bienvenue en colo !" "Super..."Where stories live. Discover now