Chapitre 17 : Situation compromettante

2.4K 319 16
                                    

Père,

Je suis désolé de vous écrire si tard, et pour être honnête, je ne sais même pas si je pourrais vous transmettre cette lettre un jour. Mais j'espère ! Mère disait toujours que quand il y a de l'espoir, il y a de la vie. Alors j'y crois.

Si vous saviez comme vous me manquer. Je pense sans arrêt à vous, et à votre maladie qui vous ronge tant. Je devrais être à vos côtés à l'heure qu'il est. Mais ma curiosité m'a rongé. Et je l'ai payé. Je connaissais pertinemment les risques. Mais si vous saviez à quel point ce livre en valait la peine ! Et à quel point ils en valaient la peine.

Mes hôtes sont gentils. Un peu spéciaux, mais gentils. Je ne sais pas où je me trouve actuellement, mais je m'y sens bien. Comme si ma place avait toujours été avec eux. C'est étrange. Je n'arrive pas à me l'expliquer. Ni à décrypter pourquoi j'ai l'étrange impression qu'ils sont tous un peu similaires. Depuis que j'ai passé le seuil du château, je me sens vivre un rêve éveillé. J'aimerais tout vous raconter mais le temps me manque. Sachez juste que je vous embrasse et que je vous soutiens de tout mon cœur.

Votre chère Maïa.



Je reposais mon stylo et mes lunettes sur le bureau et laissai ma tête tomber en arrière. Mon père me manquait. Horriblement. Pourtant, son vide avait été comblé par les habitants de cette immense demeure. Si bien que je l'avais presque oublié. Et je m'en voulais. Je culpabilisais de vivre ma vie comme je l'entendais sans me soucier un seul instant du seul pilier qui ne m'ait jamais soutenu.


Je soufflai doucement en me frottant les yeux. J'étais épuisée, las. Depuis que j'étais arrivée, j'avais l'impression d'être passé dans une machine à laver. Tantôt stressé, tantôt heureuse, parfois triste, enjouée de temps en temps et en colère le reste du temps... C'était fatiguant.


Un coup d'œil au réveil posé sur ma table de chevet et je tiquai. Aby allait bientôt venir me chercher. Et je n'en avais pas du tout envie. Mais alors pas du tout. Je commençais assez bien à connaître cette foutue grand-mère caractérielle pour savoir qu'il ne fallait pas toucher à ce qu'elle aimait. Malheureusement pour moi, elle vouait un amour farouche au moindre accessoire de beauté. Et après la guerre que j'avais vaillamment menée contre une satanée robe dorée, elle allait me le faire payer.


-Pssst !

Je levai vivement ma tête, tous sens en alerte alors qu'on m'avait interpellé.


-Pssst. Par-là !

Me tournant contre le mur du fond, je vis une petite houppette dépassée de la porte que j'avais découverte quand j'étais arrivée. Antonio ? Me qu'est-ce que... ?


-Dépêches-toi ! La vieille ne va pas tarder !

Aby. Et je crois que c'est l'argument qui finit de me convaincre puisqu'aussitôt, je refermais mon journal, la lettre étant à l'intérieur, et rejoignis l'italien le plus rapidement possible.


Une fois à sa hauteur, il prit soin de refermer délicatement la porte avant de me faire signe de le rejoindre. Sauf que nous étions dans l'obscurité la plus totale. Et alors qu'il semblait se déplacer avec une aisance parfaite, c'était loin d'être mon cas.

Non seulement je marchais aussi lentement qu'une tortue, mais en plus je me payais chaque mur ! Soit parce que je ne les voyais pas, soit parce que je trébuchais sur une pierre avant de me prendre à nouveau le mur.


Après une énième chute, je finis par grogner avant de m'asseoir durement contre le sol. Mon corps était entièrement contusionné et je n'entendais plus les pas d'Antonio. Cet idiot m'avait laissé seule, dans une espèce de grotte alors que je n'y voyais rien. Bon sang, je n'étais pas prête à sortir à ce rythme !


-Bah alors ma belle, on n'arrive pas à me suivre ?


Je retins difficilement mon cri de terreur, coincé au fond de ma gorge. Honnêtement, je ne savais pas quoi faire. L'étranglé pour m'avoir laissé seule et pour m'avoir fait la plus belle frayeur de toute ma vie, ou le remercier pour être revenu me chercher. J'hésitai sincèrement. Mais pourtant, quelque chose me perturbait bien plus.


-Pourquoi je ne t'ai pas entendu arriver Antonio ?

-Parce qu'en plus de marcher aussi lentement, tu deviens sourde ? Fais gaffe, tu vas finir par ressembler à la vieille, se moqua-t-il.


Sans même que je puisse voir, je pouvais sentir son regard peser sur moi, comme pour me dire de laisser tomber et de passer à autre chose. Consciente qu'il n'en dirait pas plus, je finis par laisser tomber et soupirai franchement.


-On dirait bien, souris-je. Mais même si tu vois quelque chose, ce n'est pas mon cas, raillai-je.


Cette fois-ci, je l'entendis distinctement s'éloigner de moi et marteler le sol, comme s'il faisait les cent pas, le tout en poussant des jurons. Qu'est-ce qui lui prenait exactement ? C'était si dérangeant de me guider jusqu'à la sortie ? Je ne savais pas trop quoi penser. Je ne connaissais pas l'Antonio que j'avais en face de moi.

Poussant un nouveau juron, il me prit par le poignet et s'élança à toute allure à travers l'obscurité. Je le suivais tant bien que mal, trébuchant de temps en temps. Pourtant, pas une seule fois l'italien s'était retourné pour savoir comment j'allais, ou n'avait ralenti le rythme pour me permettre de me relever. Non, il continuait de me traîner le plus rapidement possible, comme si mon contact le dégoûtait et qu'il voulait arriver pour s'en débarrasser.


     -Dis-moi Antonio, tu es italien ? Parce que tu as un léger accent et je me posais la question, dis-je pour essayer de détendre l'atmosphère.

     -Non.

     -Non ? J'aurai pourtant juré. Mais si tu n'es pas italien, tu es... ?

     -Français, me coupa-t-il.


Sa réponse sèche me dissuada de continuer laconversation. Je me contentais de le suivre dans le noir le plus total, tantbien que mal. Je me sentais mal. Même sa main dans la mienne semblait fade. Tout l'inverse de celle d'Adkins qui était grande, si grande qu'elle enveloppait sans problème la mienne. Qui était aussi chaude que la braise. Un peu calleuse, mais rassurante.

Là, je ne ressentais rien, si ce n'est qu'un mal-être profond.


Je voulu moi-même retirer ma main lorsque j'aperçu un énorme rond de lumière. La sortie. Antonio accéléra subitement le pas, si c'était encore possible et couru presque jusqu'au bout du tunnel. J'étais soulagé.

Mais tellement déçu face à la réaction de l'italien. Je n'arrivais pas à ne pas mal interpréter ce qui venait de se passer. Je le prenais ni plus ni moins comme un énième rejet. Et ça me faisait mal. Un peu.


Alors que nous arrivions enfin dehors, soulagés, nous nous arrêtions net, les yeux écarquillés.


Devant nous ne se tenait nul autre qu'Adkins. Ses yeux semblants osciller entre plusieurs teintes, sa mâchoire contractée et ses muscles bandés, il fusillait furieusement la main d'Antonio encore enroulée autour de mon poignet.


Ça ne sentait pas bon du tout...


La Belle et la BêteWhere stories live. Discover now