CHAPITRE 10~The [Dead] Woman

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L'avez-vous déjà ressenti?

Cette étrange sensation qui entrave votre gorge, qui alourdit l'air que vous respirez et bloque les larmes qui ne demandent plus qu'à s'écouler le long de vos joues?

Ce mélange de peur, d'insécurité, de peine et de choc, ce sentiment de culpabilité?

Avez-vous déjà eu des flashs incessants d'une situation que vous ne souhaitez plus jamais revivre mais que vous impose impitoyablement votre cerveau?

Avez-vous déjà vécu le genre de cauchemar qui vous fait le même effet qu'une crise cardiaque ou une noyade au réveil?

Avez-vous déjà vu la mort par vos propres yeux?

Je me souvins, ce jour où, âgée d'au moins six ans, je pédalais fièrement mon vélo bleu, dans une petite allée jonchée de grands arbres dont les feuilles paraissaient scintiller sous les rayons du soleil. Mon père, qui n'était pas loin, - il n'était jamais loin -, me surveillait, craignant que je me fasse mal car cela ne faisait pas si longtemps qu'il m'avait appris à pédaler. Mais je me débrouillais parfaitement bien, c'était ce qu'il avait dit. Alors je fonçai, les cheveux repoussés par le vent, un grand sourire aux lèvres. J'aimais ça. La sensation de liberté que cela apportait. Cette grande bouffée d'air frais qu'il me fallait quotidiennement, et qu'il me manquait à présent.

La liberté. On pouvait l'associer au fait de voler. C'était pourquoi j'adorais les oiseaux. Ils étaient libres. Ils pouvaient voler. Si quelque chose ne se passait pas comme voulu, ils n'avaient qu'à déployer leurs ailes et partir vers de nouveaux horizons. Alors je voulais être un oiseau. Un bel oiseau. Un merle bleu de l'ouest. Comme celui que j'avais écrasé sous la roue de mon vélo.

Ses belles plumes bleues étaient désormais tachées de rouge. Tachées de sang. J'avais poussé un cri, horrifiée. Mon père avait aussitôt accouru. Mes larmes coulaient à flot, et je tremblais de tout mon corps.

"Je l'ai tué", avais-je murmuré.

Mon père m'avait assuré qu'il était déjà mort avant que je ne passe, mais cela ne m'avait pas calmé pour autant. Je ne voulais plus faire de vélo. Alors nous étions rentrés et j'avais passé le reste de la soirée sans dire un mot. Peut-être mon jeune âge m'avait-il simplement fait dramatisé les choses, et peut-être n'était-ce qu'un oiseau après tout, mais c'était la première, et à l'époque, la seule fois où j'avais été confrontée à la mort.

Jusqu'à maintenant.

Je tirai légèrement sur ma robe noire. Elle ne se distinguait pas particulièrement des autres robes, comme par exemple celles que l'on pouvait trouver à Laurie Milton, saturées de paillettes et de froufrous encombrants. Elle définissait ma silhouette avec simplicité, la taille étant parfaitement correspondante. Elle appartenait pourtant à ma mère, étant donné que je n'avais pas de robes spéciales pour de tels événements. Je n'y avais d'ailleurs jamais assisté, à ce genre d'événement, en y repensant bien.

Je détachai mon regard de la robe, et enfilai mes talons, noirs également, avant de relever la tête vers mon reflet. Essayer de cacher les énormes cernes qui bordaient mes yeux maquillés d'un simple mascara était visiblement peine perdue. Il était complètement flagrant que j'avais négligé une ou deux nuits de sommeil. Heureusement, la tresse sur le côté décoiffée, faite par ma mère quelques minutes plus tôt, ainsi que la fausse fleur noire qui siégeait près de la racine de mes cheveux blonds rattrapait l'ensemble. De toute manière, pour un tel jour, mon apparence importait peu.

Je soupirai. Au moins, je n'avais pas à sourire.

Quelqu'un toqua à la porte. Je ne répondis pas, continuant à fixer mon reflet tout en prenant de grandes inspirations. J'avais besoin de calme. De calme, et d'un grand moment de solitude, qui ne me serait visiblement pas accordé, puisqu'on fit irruption dans ma chambre.

#Nightfall ( en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant