3. INTÉGRATION (PARTIE V)

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- Alors, cette première nuit ? me demanda Gaby en se frottant les yeux.

Je me débarrassai tant bien que mal de la couette et tentai de me remettre sur mes deux jambes.

- Si on pouvait passer directement à la seconde, je ne dirais pas non, bâillai-je en m'étirant aussi fort que je le pus. J'ai du sommeil à rattraper.

Cette nuit avait été la plus horrible de toute ma vie. En fait, ce n'était pas tout à fait exact. Mais elle devait bien être placée en deuxième position, sans la moindre hésitation.

- Et encore, estime-toi heureuse que je ne t'aie pas écoutée et qu'on se soit couchés assez tôt, me fit-il remarquer d'un ton dépourvu de sérieux.

- Merci, grand frère, ironisai-je en le regardant repasser sa montre à son poignet.

- Docteur, grand frère... J'en ai hérité des titres, en si peu de temps.

- Je me fiche de toi, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.

- Je me disais aussi..., fit-il mine de se désoler.

- Tu es sûr que tu ne t'es pas trompé sur l'heure ? me plaignis-je en me dirigeant vers « l'entrée » de la salle de bain.

- Négatif. Il est huit heures tapantes.

J'entrai dans la pièce blanche et la lumière se déclencha instantanément. Je me dirigeai vers le lavabo et me passai de l'eau sur le visage à plusieurs reprises. En me regardant dans le miroir, je songeai qu'une routine ne mettrait pas longtemps à s'installer. Constat plutôt étrange si l'on considérait que tout cela était une première pour moi.

Gabriel me tendit une serviette blanche qu'il venait de sortir d'un des placards derrière moi. Je m'essuyai et tentai de remettre un peu d'ordre dans mes cheveux. Curieusement, ils n'avaient pas trop souffert de cette nuit agitée.

- J'imagine que tu n'as pas de brosse ou un truc de ce genre à me prêter ? lui demandai-je tout de même.

- Moi, non, mais les filles...

- O.K., l'interrompis-je. Autant enfiler ma capuche tout de suite, dans ce cas.

- Même si ça te va bien, je te le déconseille. Ça risque de faire asocial. D'ailleurs, changea-t-il de sujet, qu'est-ce que je fais de ça ?

Il me reprit la serviette que j'avais laissée pendre sur mon bras et me fourra à la place une boule grise chiffonnée – encore humide – dans les mains. Je repérai une poubelle en-dessous du lavabo et fis jouer la pédale, avant de jeter ce que Gabriel m'avait refilé.

- D'accord, je te déclare officiellement en froid avec Brooke, rigola ce dernier.

- Ça ne sera officiel qu'au moment où on se sera revues, observai-je. Le plus tard possible, j'espère.

- Tu n'as qu'à enfiler ça en dessous de ta veste, poursuivit-il en secouant la tête.

J'attrapai le débardeur blanc qu'il m'avait jeté.

- Il est neuf, précisa-t-il. Je suis allé le chercher cette nuit, quand tu t'es rendormie. J'espère que c'est ta taille, ajouta-t-il avant de s'éclipser.

Je l'enfilai avant de ressortir de la pièce et de me planter devant la porte de la chambre.

- Tu viens ? me pressa mon camarade en ouvrant celle-ci. Le déjeuner doit déjà avoir commencé.

J'accédai à sa demande sans réelle motivation, consciente que je retardais une nouvelle fois ma confrontation avec les membres de cette communauté – à la différence près que je savais ce qui m'attendait, cette fois. Je fus surprise de constater qu'il faisait toujours aussi sombre que la veille au soir dans le couloir.

- Attends, vous vivez vraiment dans le noir ? demandai-je en exécutant plusieurs tours sur moi-même, incapable de me situer.

- Pas exactement, répondit-il en m'attrapant par la main.

- Bon sang, mais comment tu fais pour t'y retrouver ? Et puis, qu'est-ce que tu entends par « pas exactement » ?

- Ma vision est plus aiguisée que la tienne pour l'instant, expliqua-t-il en m'entraînant sur ce que je supposais être ma gauche. Il y a de nombreuses sources de lumière qui me permettent d'y voir aussi bien qu'en plein jour. Mais elles sont beaucoup trop infimes pour les yeux d'une personne normale.

- Tu me considères comme une personne « normale » ? plaisantai-je en manquant trébucher sur mes propres pieds.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit, répliqua-t-il. Seulement, tu l'es toujours un peu plus que tu ne le seras dans quelques temps.

- Je ne te suis plus là, avouai-je.

- Peu importe, se désintéressa-t-il du sujet alors que j'aperçus enfin au loin une certaine clarté.

Nous pénétrâmes dans la salle que j'avais déjà visitée la veille au soir, et qui me parut peut-être un peu moins impressionnante que ce que je m'étais imaginé à ce moment-là. L'endroit était certes spacieux, mais j'avais finalement l'impression de me retrouver dans un abri agréablement aménagé, une sorte de cocon, en fin de compte. C'était probablement le but recherché par ce décor naturel.

Contrairement à la première fois, le dôme n'était pas éclairé par la lumière artificielle des doubles-néons, mais par celle des rayons du soleil que je découvrais pour la première fois. Je m'avançai dans l'un des plus timides et m'intéressai de plus près à la manière dont ils pénétraient ici. Sur la paroi ouest, plusieurs petites pierres en hauteur manquaient çà et là. Cela m'évoquait très vaguement le rôle des meurtrières dans les fortifications. Même lorsque le soleil ne perçait pas à travers les nuages, la lumière du jour devait amplement suffire à éclairer la salle. Je notai également que les pierres – qui avaient l'air d'être naturellement incrustées de facettes – réfléchissaient étrangement celle-ci. Un léger courant d'air souleva plusieurs mèches de mes cheveux châtain, qui prirent des reflets roux à la faveur des rayons de l'astre. Cela suffit à me ramener à la réalité.

Je pris soudain conscience que mon arrivée, sans jeter un froid, avait néanmoins atténué quelque peu l'enthousiasme des conversations qui devaient être lancées depuis longtemps. J'enregistrai qu'il y avait encore plus de monde que la veille – à moins que ce ne soit le fait de les voir presque tous attablés, tandis que d'autres groupes s'étaient formés un peu plus loin, qui me donnait cette impression. Je me demandais s'ils me fixaient de cette façon à cause de la manière dont je m'étais émancipée de la norme vestimentaire en vigueur chez les filles – à savoir, tenue correcte et coiffure soignée – ou seulement si c'était parce qu'ils me considéraient déjà comme quelqu'un de renfermé. En effet, on ne pouvait pas dire que j'avais brillé par la façon dont j'avais amorcé mon intégration lorsque que j'en avais eu l'occasion, si ce n'était peut-être avec Dani. Mais ma brève rencontre avec la petite amie de Ric avait contrebalancé cet aspect-là.

Je notai que l'aménagement de la pièce avait déjà subi une sacrée transformation du jour au lendemain. Les deux tables formaient désormais un angle qui séparait la pièce en deux parties, le sommet de celui-ci dirigé vers le fond. Elles offraient toutes deux un front uni. J'avais la curieuse impression qu'elles représentaient une ligne que je n'étais pas censée franchir.

Ressentant tout-à-coup une sensation de chaleur monter en moi, je me débarrassai de ma veste d'un air détaché. Sans que je comprenne pourquoi, Gaby me la prit des mains sans un mot et s'éloigna vers la table.

- Déjà ? l'entendis-je demander à son camarade au côté duquel il s'était assis.

Je fronçai les sourcils, m'apprêtant à le suivre, lorsque je discernai du coin de l'œil une présence qui ne m'était pas inconnue. Brooke se plaça devant moi, les bras croisés, un air de défi sur le visage. Le mutisme qui accompagnait son air hautain finit par m'agacer.

- Qu'est-ce que tu veux ? me crispai-je, les dents serrées.


PHENOMENE - Parce que le combat ne sera jamais terminéDonde viven las historias. Descúbrelo ahora