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Camille s'élança sur le parquet en bois ancien, une mélodie d'Adolphe Adam s'échappant du grand piano à queue de la salle où la jeune femme dansait. Ses mouvements, fluides et gracieux, lui donnaient l'air de s'envoler à chaque pirouette qu'elle incarnait  à la perfection. Lorsque, après plusieurs minutes, la mélodie s'acheva doucement, Camille s'accroupit à terre, dans une dernière posture tout aussi gracieuse que les autres, et elle laissa échapper un petit soupir de soulagement, ravie d'avoir pu terminer sans s'être trompée dans la chorégraphie.

- C'était parfait Camilla, magnifique ! s'exclama son professeur, un italien qui ne s'était jamais décidé à l'appeler par son prénom, préférant y rajouter un a pour la résonnance latine.

La jeune femme se releva et un grand sourire illumina son visage légèrement rougi et où quelques gouttes de sueur brillaient. En passant devant son prof, Cesare, il l'arrêta d'un signe de tête et posa ses deux mains sur ses épaules, un sourire ravi se dessinant sur son visage hâlé, avant de lui désigner les deux barres horizontales pour y faire ses étirements. Elle le fit avec aisance pendant quelques minutes avant de reprendre sa place sur le banc. Quelques applaudissements discrets mais enthousiasmes avaient salué sa prestation, et sa meilleure amie, Capucine, assise à côté d'elle, lui tapota l'épaule en lui souriant.

- Giselle te va tellement bien ! On dirait que ce rôle a été écrit pour toi, la félicita-t-elle, et Camille se sentit rougir davantage.

Tous ces compliments, bien qu'il lui fasse plus que plaisir, la mettait surtout mal à l'aise. Elle n'était pas le genre de fille à aimer être au centre de l'attention, et lorsqu'elle avait obtenu le rôle principal du ballet qu'ils allaient jouer à la fin de l'année scolaire, à sa plus grande surprise, elle avait presque harcelé Capu pour savoir si elle allait être à la hauteur ou pas. Mais apparemment, Cesare lui faisait entièrement confiance, et cela lui donnait envie de se dépasser.

- Je crois qu'il craque sur toi, rajouta sa meilleure amie en désignant le professeur de danse d'un signe de tête, et Camille écarquilla ses grands yeux clairs en secouant la tête.

- T'es folle Capu ! Je suis pas son genre de nana du tout ! Toute façon, je te rappelle que c'est notre prof, et donc que c'est interdit par la loi.

Cesare n'avait que 27 ans, donc à peine 10 ans de plus qu'elle, mais il intimidait pourtant énormément la jeune femme. Grand, baraqué, brun ténébreux avec des yeux d'un vert émeraude, il était plus que beau et il faisait tourner la tête de presque toutes ses étudiantes. Son accent italien, son rire clair et sa manière d'être peut-être un poil plus tactile qu'il ne le faudrait aidait probablement à son succès fou. Il était en plus de ça très talentueux et c'était sans doute pour ça qu'il était professeur dans cette école de danse prestigieuse, en plein cœur de la capitale française. Il avait fait avant ça plusieurs ballets reconnus comme danseur principal, avant qu'une blessure au genou ne le contraigne à arrêter la danse, du moins au niveau qu'il avait. Il s'était dirigé il y a un peu moins de deux ans dans l'enseignement et il se débrouillait à merveille pour motiver ses troupes. Il se débrouillait en tout cas très bien et aucun élève n'avaient à se plaindre de lui. La plupart des jeunes danseurs l'adoraient.

- Cami, t'es trop sérieuse, t'as bientôt 17 ans. Il est temps de s'amuser un peu quand même ! s'exclama la jeune rousse en souriant.

Capucine lui adressa un regard malicieux et Camille souffla, déjà lasse de cette conversation qu'elle ne connaissait que trop bien. Contrairement à Capucine qui avait tendance à passer de bras en bras sans se préoccuper de tomber amoureuse ou pas, Camille restait une éternelle romantique, persuadée que son grand amour l'attendait quelque part sous les traits d'un de ces artistes torturés et poètes qui forceraient toutes ses carapaces et la ferait tomber follement amoureuse au premier regard. Elle lisait trop de livres sur l'amour et connaissait toutes les comédies romantiques par cœur, si bien que Capu lui disait qu'elle ne rencontrerait jamais l'amour car elle s'en était faite une image faussée, et peut-être qu'au fond sa meilleure amie n'avait pas vraiment tort. Quoiqu'il en soit, même si elle avait eu quelques petits copains, aucun n'avait réussi à lui faire ouvrir son cœur -et ses cuisses- et elle préférait de loin se consacrer à la danse et à ses études plutôt qu'aux mecs.

- Ça te dit qu'on sorte d'ailleurs vendredi soir ? Les mecs du hip hop organisent une soirée en banlieue. Ça va être cool.

Camille ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire tandis que plusieurs danseuses s'élançaient sur le parquet pour répéter une des scènes du ballet. Elle savait que le dernier crush de Capu était un des mecs du hip hop, dans la même école qu'elles, mais une classe au-dessus et qui était arrivé en début d'année. Elle n'avait de cesse de se rapprocher de lui et pour l'instant, ça n'avait rien donné. Mais, elle connaissait assez Capu pour savoir qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Et évidemment une soirée restait le meilleur moyen pour approcher un mec. C'était donc clairement impensable que Capu loupe cette soirée, elle le savait d'avance.

- T'es chiante, mais tu as de la chance de m'avoir. Je vais pas te laisser t'aventurer en banlieue toute seule, répliqua Camille en levant les yeux au ciel, et Capucine sourit, victorieuse.

- T'es qu'une petite bourge, la banlieue, ça peut être cool des fois !

Capucine habitait le 18ème, à quelques stations seulement de Saint-Ouen, et même si son quartier à elle était plutôt sympa, elle adorait jouer la nana du ghetto, même si pourtant, elle n'en avait clairement pas le look, se répéta une fois de plus Camille, en observant sa meilleure amie, petite rousse fine aux yeux bleus et dont le visage laiteux, parsemé de quelques tâches de rousseur, ressemblait à celui d'une poupée.

Mais, elles n'avaient pas le même niveau de vie, et Capu aimait bien la taquiner là-dessus, au grand dam de la jeune femme qui détestait qu'on lui rappelle qu'elle venait d'une famille plus que riche. Sa mère était directrice administrative et financière d'une entreprise reconnue dans le domaine du luxe, et son père gérait un grand hôtel parisien dans le 16ème arrondissement, non loin du loft où ils habitaient. Il fallait l'avouer, la famille Montrose avait les moyens, et Camille avait eu la chance de ne manquer de rien. Alors qu'elle le savait, pour Capu, c'était une autre histoire. Son père possédait un petit bar sans prétention dans le cœur du 18ème, tandis que sa mère bossait comme infirmière à l'hôpital Bichat. Capucine avait deux grands frères, un de 19 ans, étudiant en droit, et l'autre de 22 ans, conducteur de VTC depuis peu, et une petite sœur de 14 ans, peste à ses heures mais qui adorait Camille. De toute façon, les Duval adoraient Camille, et il arrivait fréquemment que la jeune femme dorme chez sa meilleure amie. Elle adorait cette ambiance chaleureuse et joviale qui régnait toujours chez eux, ces rires qui éclataient un peu partout dans la maison, et la radio qui diffusait des vieilles chansons françaises jusqu'à tard le soir.

Au fond, Camille aurait voulu une famille comme ça, une famille qui comprendrait ses rêves et la pousserait à aller au bout, qui l'applaudirait à chaque spectacle de danse et qui partagerait tout avec elle, même les galères. Mais sa famille à elle, comparé aux Duval, c'était le vide, la solitude, la tristesse et elle faisait tout pour fuir les moments passés chez elle. La sonnerie retentit, l'arrachant à ses sombres pensées, et Capucine lui attrapa le bras pour la tirer hors de la salle. Elles avaient maintenant cours d'histoire, et la rouquine adorait cette matière, et il fallait le souligner, le prof qui leur enseignait. Camille adorait l'histoire aussi, et c'était sans doute une des matières où elle brillait le plus avec le français et les sciences. Elle suivit la rousse et les deux jeunes femmes continuèrent de discuter en riant, Capu commençant déjà à préparer des plans pour séduire son crush du moment.

Paris doréWhere stories live. Discover now