Le manuscrit d'Eralin

Chapitre 6

Manu n’eut pas à attendre beaucoup avant de voir revenir Selena : la discussion et ses recherches lui avaient fait comprendre qu’elle avait faim. Elle se faufila dans l’entrebaillement de la porte, laissant à peine filtrer la lumière dans la pièce. Elle fut surprise de constater que plusieurs bougies étaient allumées et le thé servi avec quelques gâteaux sur la table. Elle leva un sourcil, surprise. Manu ne lui laissa pas le temps de poser sa question.

«Est-ce qu’on fait un point de tout ce qui s’est passé depuis hier soir, ou est-ce que tu pars à la bibli direct ?

- J’ai plus grand chose à faire là-bas.

- Acte de présence. Pour pas qu’on croit que tu venais juste pour un document sur lequel tu pouvais pas mettre la main.

- Tu crois vraiment qu’on me croirait impliquée ?

- Rappelle-moi le plan de base ?

- Mais oui mais là on a rien eu le temps de faire.

- C’est pas une raison pour t’attirer les soupçons.»

Selena fit une moue agacée, puis enchaîna en se tortillant sur sa chaise.

«Mais j’ai déjà lu tout ce qu’il y avait d’intéressant depuis longtemps. 

- Alors on va exposer l’idée différemment : tu crois qu’il y aurait moyen de trouver deux ou trois indices sur place ?»

Elle prit le temps de réfléchir, sans paraître convaincue. Manu fit appel au seul point qu’elle ne discuterait pas.

«C’est pas Igle qui avait décidé du plan, à l’origine ?»

Elle tira la langue, prit un instant pour peser la force de l’argument, puis haussa les épaules.

«Il est à l’origine du plan parce qu’il avait un rôle à y jouer.

- Tu détournes le sujet.

- Compris ! Je retourne à la bibli encore quelques jours pour bien faire comprendre à tout le monde qu’on s’est fait avoir et que j’ai passé énormément de temps à observer tous les points stratégiques de manière totalement gratuite et inutile puisque je n’ai même pas eu le temps d’en faire part à qui que ce soit d’autre.

- Là, on est d’accord. Donc, est-ce qu’on fait le point maintenant ou ce soir ?»

Selena avait déjà ouvert la bouche pour répondre lorsqu’un gémissement se fit entendre : Loulou avait tranché la question, il n’avait pas assez dormi. Elle lui passa une main sur la tête et la discussion n’alla pas plus loin. Avec quelques heures de retard, la journée reprit son cours habituel.

Contrairement à ce qu’elle avait prétendu, même si elle avait déjà lu l’ensemble des livres de la bibliothèque, il restait encore quelques perles qu’elle n’avait pas ouvertes, étant restée sceptique par le titre ou l’état global des ouvrages en question. Elle en prit donc un tout naturellement et passa le reste de la journée à prendre des notes comme à son habitude. Et comme à son habitude, ce fut le gardien qui lui fit comprendre qu’il allait fermer.

Cependant, l’idée de Manu avait du bon, puisque depuis un mois qu’elle s’installait à la même place tous les jours, son absence n’était pas passée inaperçue. D’ailleurs, ainsi qu’il l’avait rappelé, sa présence au-delà du vol faisait partie du plan de départ, et il aurait été risqué d’y changer quoi que ce soit sous prétexte que celui-ci n’avait pas été commis par la bonne personne. Mais malgré tout, Selena restait vexée par la situation : c’était la première fois qu’on lui donnait un rôle dans une affaire de ce genre, même si elle n’était pas exposée directement, et elle avait le sentiment d’avoir raté l’objectif qu’elle s’était fixé, et même pire : d’avoir pu décevoir ceux qui l’accompagnait. Et finalement, le voleur qui avait réduit à néant son mois de travail commençait petit à petit à l’agacer intérieurement. Plusieurs idées se bousculaient en elle tandis qu’elle rentrait, dont la principale était qu’on avait mis un terme à ce qu’elle avait planifié sur plusieurs semaines, qu’elle n’avait plus rien à faire que de continuer à agir bêtement dans une bibliothèque dont les livres l’ennuyaient de plus en plus et qu’on la condamnait à rester encore quelques jours dans un endroit qu’elle voulait quitter au plus vite à présent qu’elle savait qu’elle n’obtiendrait pas le fruit de son caprice. Quelqu’un avait enfreint une règle et tout son jeu se trouvait faussé.