Chapitre 20

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«Réveille-toi !

- Maaaaais !

- Selena, réveille-toi !!!»

Selena ouvrit un oeil de mauvaise grâce. Elle ouvrit l’autre en découvrant la mine terriblement fatiguée et inquiète de Manu qui continuait de la secouer pour qu’elle se décide enfin à se redresser.

«Qu’est-ce qui se passe ?

- Qu’est-ce qui se passe ? Comment ça, qu’est-ce qui se passe ? Mais c’est à moi, de te le demander !

- Quoi ? Pourquoi ?

- Ben parce que c’est pas Loulou qui pourra me répondre.»

Un jappement offusqué répondit à la remarque. Selena s’assit dans le lit face à Manu. Son regard reflétait une inquiétude dont elle n’arrivait pas à comprendre l’origine. Dans le doute, elle se tâta rapidement les bras et jeta un regard à travers la chambre. Les volets étaient fermés, mais on pouvait deviner entre les planches que les premières lueurs de l’aube n’allaient pas tarder à percer sur la ligne d’horizon.

Manu la dévorait des yeux, attendant désespérément qu’elle se décide à parler. Elle le fixa sans rien comprendre.

«Mais quoi ?

- Mais vous étiez où ?

- Ben en ville, pourquoi ?

- En ville ?

- On était juste crevé en rentrant hier soir, on est parti se coucher directement. Mais on a dû arriver après ton départ, je sais pas trop quelle heure il était.»

Loulou fit signe qu’il n’y avait pas fait attention non plus. Manu les observa tour à tour avant de reprendre.

«Mais avant ça ? Vous avez quand même pas passé trois jours à errer en ville sans que j’arrive à vous retrouver pendant la nuit ? Vous étiez partis où ?

- On a pas passé trois jours à errer en ville.

- C’est ce que je dis, vous étiez où ?»

Selena resta bouche bée. Loulou comprit avant elle et se mit à grogner. Manu ne savait pas comment interpréter ce genre de réaction et devint encore plus pâle qu’il ne l’était déjà. Sa voix se brisa.

«Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

- On a disparu trois jours entiers ?»

Il hocha la tête pour confirmer l’idée. Selena se laissa retomber lourdement sur l’oreiller.

«Je comprend mieux pourquoi j’ai encore sommeil.

- Héé ! Te rendors pas tout de suite !

- Je sais pas où on était, Manu. Mais on a pu y aller en partie grâce à mon énergie, et je suis claquée maintenant. Je pourrai t’expliquer quand je me sentirai mieux ?»

Manu fit signe qu’il comprenait. Il la regarda se coucher sans rien dire et remonta simplement la couverture jusqu’à son cou lorsqu’elle se tourna vers le mur pour s’endormir. Ce fut le grattement de Loulou à la porte qui le tira de sa rêverie. Il lui ouvrit pour lui laisser le passage et reprit sa place sur le lit.

Il avait passé toutes ses nuits à les chercher à travers toute la ville, élargissant ses pistes jusqu’aux environs, incapable de comprendre ce qui avait pu leur arriver à l’un et à l’autre. Il avait passé ses journées dans la chambre, les yeux fixés sur les interstices des volets, à attendre impatiemment que le soleil se couche enfin pour reprendre ses investigations. Et à présent, elle était couchée près de lui. Une mèche de cheveux tomba sur son nez sans qu’elle n’esquisse le moindre geste pour la retirer. Il la remit derrière son oreille et murmura, sans même réaliser qu’il pouvait l’entendre.

«Selena, je t’aime.»

Elle ouvrit les yeux et se tourna sur le dos. Il se retrouva figé, incapable de dire quelque chose d’un peu sensé et gêné par les deux yeux de jade qui s’étaient élargis pour essayer d’émerger du sommeil où ils se plongeaient déjà. 

Selena comprit à sa mine qu’il avait été sérieux. Elle se redressa, prit sa main dans la sienne et le regardant bien en face, souffla.

«Je t’aime beaucoup, mais c’est pas ce que tu crois.»

Il ferma les yeux pour reprendre contenance.

«J’oubliais. Tu aimes déjà Igle.»

Elle acquiesça doucement. Il dégagea sa main, et rouvrant soudain les yeux.

«Mais il est jamais là, lui. Il sait même pas que vous avez disparu pendant trois jours. Il serait absolument impuissant, s’il t’arrivait quelque chose !

- C’est pas vrai. Si j’ai disparu depuis trois jours, alors ça fait trois jours qu’il cherche à me joindre pour savoir où je suis.

- J’ai pas vu son aigle t'apporter de lettre !

- Parce que les lettres ne sont qu’un moyen de rendre les choses plus claires entre nous. Mais quel que soit l’usage qu’on en fait, elles ne sont qu’un moyen. 

- Je comprend pas.

- Je discute avec lui tous les soirs, dès l’instant où je ferme les yeux à celui où la fatigue l’emporte sur ma volonté. Il n’y a pas un jour où je ne le vois pas, où je ne discute pas avec lui, où je ne partage pas avec lui toutes mes pensées. Et ce serait certainement réciproque si j’étais un peu plus douée pour focaliser mes pensées sur lui pendant plus d’une heure. Mais même si notre relation n’est pas concrète dans l’univers physique, les sentiments qu’on éprouve l’un pour l’autre sont largement au-dessus de ce genre de considérations. Est-ce que toi, tu serais capable de me laisser aller dans ton esprit librement sans rien me bloquer de pensées ?

- J’en sais rien.

- De me laisser découvrir tous tes secrets les plus cachés, ceux que tu n’as jamais laissé transparaître auprès de qui que ce soit ?

- J’ai pas grand chose à cacher.

- Silvestick ?»

Elle avait prononcé le nom doucement, mais le choc fut plus rude qu’elle ne l’aurait pensé. Il se redressa violemment pour lui faire face. Elle haussa simplement les épaules.

«Si le simple fait que je connaisse ton nom est déjà une gêne, alors tu as ta réponse. J’aime quelqu’un qui ne me cache que ce qui peut me blesser parce qu’il n’a aucun moyen de me calmer si je me braque sur un mauvais a priori. Et je l’aime au point de lui ouvrir mon esprit au point qu’il puisse connaître toutes mes pensées les plus secrètes, et les mieux cachées. Mon vrai nom y compris.»

Manu l’observa un long moment, soudain conscient que, malgré toute l’innocence et la naïveté dont elle savait faire preuve, Selena était loin d’être aussi transparente que ce qu’il avait cru. Il ignorait même qu’elle ne lui avait pas donné son vrai nom. Il prit un livre sur la table, sans même en regarder le titre, s’installa dans le coin opposé de la pièce et fit mine de lire pour couper court à la discussion.

Selena hésita à ajouter quelque chose pour le calmer, eut conscience que le temps jouerait mieux en sa faveur, et s’allongea à nouveau. Seulement, le sommeil prit tout son temps cette fois-ci pour venir chatouiller à nouveau ses paupières.

Le manuscrit d'EralinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant