☾Prologue ☾

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Le soleil avait disparu depuis de longues heures déjà, et la lune brillait haut dans le ciel lorsqu'une douce brise vint caresser son visage. Les rideaux couleur bleu roi ondulaient sous l'effet du vent, entrant dans la chambre par la large fenêtre donnant sur le balcon, d'où l'on pouvait avoir une vue imprenable sur les jardins. Cependant, ce soir-là, personne ne se tenait au bord de la rambarde en marbre. Personne n'était encore debout pour observer la pleine lune, qui brillait de mille feux dans ce ciel nocturne dégagé. Du moins, pas pour l'instant...

Dans un sursaut, elle se réveilla et se redressa dans son lit. Son front et son dos baignaient de sueur. Une goutte solitaire glissa entre ses deux yeux et sur l'arête de son fin nez, avant de terminer sa course au coin de ses fines lèvres. Ses mains s'accrochaient fermement aux draps couleur crème qui l'entouraient et recouvraient délicatement son corps fin mais impressionnant à la fois. Son élégant visage était crispé, ses sourcils froncés. Ses yeux sombres fixaient un point sur le mur en face d'elle. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme irrégulier, bien plus rapide qu'à la normale.

Un mouvement sur sa gauche la fit sursauter et sortir de sa torpeur. Tout son corps s'était tendu, alors qu'elle s'apprêtait à se défendre. Toutefois, elle n'en fit rien lorsque les deux formes indistinctes se précisèrent pour faire apparaître les deux êtres les plus chers à ses yeux. Lentement, elle abaissa la main qu'elle avait levée, dans le but de se défendre, et la passa dans ses cheveux blonds comme les blés, qui retombaient en jolies boucles sur ses épaules et dans son dos.

Un bruit retentit à nouveau dans la chambre. Dans un froissement d'ailes, son faucon vint la rejoindre sur le lit où elle se tenait toujours. La lune vint éclairer les ailes anthracite du rapace, qu'il replia soigneusement contre son corps robuste. Sa tête se pencha délicatement sur le côté, tandis que ses yeux perçants ne quittaient pas celle qu'il était censé protéger.

« Encore un cauchemar ? demanda le faucon de sa voix claironnante.

- Il semblerait...

- Tu ne peux pas continuer comme ça, Adélaïde. Tu dois en parler avec les Hauts Mages, déclara une troisième voix.

- Je ne peux pas, Altaïr, tu le sais pertinemment, soupira la femme d'une quarantaine d'années en tournant la tête vers le concerné.

Sortant à son tour de l'ombre, le majestueux tigre blanc s'approcha du lit sur lequel elle se trouvait, d'une démarche tranquille. Ses larges pattes se posaient sans bruit sur la moquette recouvrant le sol de la chambre. Ses oreilles frétillaient, et sa queue s'agitait, se balançant de gauche à droite. Ses grands yeux turquoise étaient posés sur Adélaïde, la scrutant avec attention pour constater l'état dans lequel elle se trouvait. Néanmoins, son seul odorat, très développé, lui suffisait pour comprendre ce que ressentait sa moitié. Dans cette grande pièce leur servant de chambre, une odeur bien particulière emplissait l'atmosphère, s'insinuant dans ses narines qui ne cessaient de se dilater : celle de la peur.

- Qu'as-tu vu ? lui demanda le faucon avec douceur.

- Notre fin. La fin du Royaume. »

C'est sur cette annonce lugubre que la femme élancée se releva, sautant au bas de son lit pour aller récupérer sa robe de chambre aux motifs bleus et dorés afin de se couvrir. Sans un mot de plus, elle quitta sa chambre, sous les questions nombreuses de ses deux protecteurs. Sa sortie fracassante surprit les gardes postés devant sa porte, qui tournèrent leurs lances vers elle. Lorsque leurs regards croisèrent le sien, ils se reprirent et se redressèrent, bien qu'encore troublés. Ils ne posèrent cependant aucune question et se contentèrent de lui emboîter le pas, après avoir laissé passer le grand tigre blanc et le faucon pèlerin. Ce dernier vint se percher sur l'épaule droite de la femme et pencha sa tête vers elle, anxieux et intrigué à la fois.

« Tu comptes le consulter à nouveau ?

- Je n'ai pas d'autre choix, Topaze. Je dois m'assurer de ce que j'ai vu. »

Le faucon ne posa pas d'autre question. Le silence régnait tout autour d'eux, dans ces grands couloirs vides que seul venait troubler le bruit des pas des deux gardes, qui suivaient leur reine de près. Tout le monde dormait, pourtant, ils devaient se montrer prudents et attentifs. Par le passé, l'un de leurs souverains était mort en raison de l'imprudence des gardes qui le veillaient. Une telle erreur ne se reproduirait pas. En tout cas, pas sous leur surveillance.

Adélaïde finit par tourner à l'angle d'un mur et parcourut les quelques mètres restant jusqu'à une vieille porte, bien loin de la rutilance des autres portes du palais. Une fois parvenue devant, elle posa sa main sur la poignée et ferma les yeux afin de se concentrer. Ses lèvres remuèrent, et un très léger filet de voix en sortit. Les gardes tendirent l'oreille, dans l'espoir de parvenir à comprendre ses paroles, en vain. Seuls Altaïr et Topaze entendirent les paroles rituelles qu'elle prononça, avant que la porte ne s'ouvre lentement, dans un grincement lugubre, en coulissant sur ses gonds rouillés.

Avant de pénétrer dans la pièce sombre, gardée à l'écart des yeux indiscrets, Adélaïde se saisit d'une torche, accrochée au mur à sa droite. Topaze écarta ses grandes ailes et quitta son épaule pour voler jusqu'à l'intérieur de la pièce, afin de s'assurer qu'elle était aussi abandonnée qu'il le paraissait. Adélaïde attendit quelques instants, puis s'engouffra au cœur des ténèbres à son tour, aux côtés de son beau félin. Ses gardes la suivirent docilement, sans se poser de questions, seulement éclairés par la faible lueur de la torche.

Une odeur de renfermé emplissait l'air, à tel point que Altaïr plissa le nez pour s'en protéger. Celle qui l'accompagnait, en revanche, ne semblait nullement perturbée, bien au contraire. Elle se dirigeait d'un pas assuré vers une vieille bibliothèque, sur laquelle se trouvaient de nombreux livres, tous plus anciens les uns que les autres. Une fois parvenue devant, Adélaïde laissa ses doigts courir sur le dos des vieux bouquins, jusqu'à ce qu'ils se referment sur l'un d'entre eux en particulier.

La couverture du manuscrit était recouverte d'une épaisse couche de poussière, sur laquelle la reine souffla. Son faucon vint se percher sur l'une des étagères et se pencha en avant pour observer le vieux livre. Adélaïde tendit sa torche au garde se trouvant à sa droite, un jeune homme ayant déjà prouvé sa loyauté à de multiples reprises. Il s'en saisit et, à la demande de sa reine, éclaira le vieux grimoire, qu'elle ouvrit avec précaution.

Ses yeux parcoururent les pages jaunies par le temps, les unes après les autres, jusqu'à ce qu'ils se posent, enfin, sur celle qu'elle recherchait. Là, sur cette page tout aussi abîmée que les autres, terminaient de s'écrire les mots d'une bien sinistre prophétie... Confirmant le sombre cauchemar qui l'avait réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit. Les ténèbres allaient bientôt s'abattre sur le Royaume, et leur unique espoir brillait d'une lueur bien trop faible dans la nuit...

Dreamcatcher [Tome 1]Where stories live. Discover now