1. J'm'appelle Camille, et toi ? (1/2)

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« Kilian, lâche ce truc s'il te plait, t'as le même sur ton corps, t'es pas obligé de caresser et d'embrasser celui d'Aaron ! Surtout quand j'vous dessine, ça fait mauvais genre. »

Boudeur, le blondinet lâcha l'objet du délit et se retourna vers la table basse sur laquelle il se saisit d'un biscuit et de son verre de lait, préparés avec affection par le maître des lieux. Franchement, Gabriel exagérait. C'était son idée au châtain, d'abord, de demander à Aaron de complètement se dévêtir lui aussi pour cette petite séance de pause expresse. D'ailleurs, au début, le jeune brun ne semblait pas vraiment chaud pour cette étrange activité. Kilian avait presque dû le trainer de force chez l'artiste après son entrainement d'escrime – il ne restait plus qu'une semaine exactement avant sa grande compétition, le troisième samedi du mois de juillet – et user de ses charmes pour le convaincre de tomber aussi le bas, histoire de ne pas gâcher le dessin. Il était à peine plus de seize heures. La journée avait déjà été longue, et elle était encore loin d'être terminée.

Ce matin-là, l'adolescent aux cheveux dorés s'était levé aux aurores. Comme toutes les nuits depuis plusieurs jours, il dormait mal. Le moindre petit bruit suffisait à le réveiller. Ce qui s'était passé il y a peu continuait de le tourmenter : l'incompréhension de ne pas voir son frère et son amoureux arriver ; l'inquiétude qui a suivi alors qu'il n'arrivait pas à les joindre au téléphone ; la terreur quand François lui annonça que l'hôpital venait d'appeler ; la rage envers ce chauffard qui avait percuté la Twingo de Cédric à pleine vitesse et qu'il ne pourrait jamais insulter qu'en allant cracher sur sa tombe ; la détresse de voir les deux personnes les plus importantes de sa vie allongés dans des lits d'hôpital, dans un état ou tout pouvait si vite basculer ; le soulagement de voir Aaron se réveiller ; l'impuissance devant le corps immobile de son grand frère ; l'angoisse de ne plus jamais le voir rouvrir les yeux ; la souffrance tout simplement. Toutes ces émotions passées et présentes l'empêchaient de trouver le sommeil. Et une chose plus que toutes autres lui asséchait la gorge et lui mouillait les yeux : le regard vide et torturé du garçon dont il était amoureux, écrasé sous le poids de la culpabilité. Aaron. Son Aaron.

S'il voulait à tout prix le rassurer et lui crier qu'il n'y était pour rien, Kilian pleurait trop pour ne serait-ce que réussir à lui parler. Alors, après une nuit sans fermer l'œil ou presque, la tête collé à la poitrine de cet amant si cher à son cœur, il s'était saisi de son plus beau stylo plume et lui avait écrit une lettre, scellée de ses larmes dans une enveloppe jaune pâle qu'il avait déposée sur la table de nuit. Puis il s'en était allé, tranquillement, sur le chemin de son club d'escrime, pensant à chaque coin de rue à tout ce qu'il avait vécu depuis sa rencontre avec son petit brun, et à tout ce qui l'attendait : cet été que la météo prévoyait très chaud et que Cédric semblait condamné à passer assoupi ; la compétition ; les visites à l'hôpital ; les vacances ici et là pour se vider la tête, car il fallait bien se la vider pour ne pas qu'elle explose ; et puis la rentrée en première S au lycée Voltaire. Il grandissait.

En route, il avait croisé tout un tas d'inconnus. La petite vieille qui promenait son chien, le travailleur qui ne prenait jamais de week-end, le vieux clodo sous le pont qui dormait en serrant fort contre lui sa bouteille de rouge pour ne pas qu'on la lui pique, des jeunes qui faisaient du skate dans le parc, une jeune fille à peine moins âgée que lui avec une coupe à la garçonne qui souriait sur un banc... tous ces gens vivaient leur propre vie tandis qu'il essayait tant bien que mal de s'accrocher à la sienne.

Après l'entrainement, Kilian était retourné tranquillement chez lui. La table était déjà mise. Son père absent, c'était Aaron qui s'était occupé du déjeuner. Après être allé faire trois courses au marché, le brunet avait préparé une plâtrée de pates aux légumes du soleil et une salade de fruits en dessert, en veillant bien à remplacer le raisin par des abricots et à éplucher les pommes. C'était des petites attentions à destination de son amoureux, mais elles comptaient. Ce midi-là, les deux adolescents rigolèrent et se sourirent beaucoup. Pour Aaron, c'était avant tout une réaction naturelle pour masquer les gonflements de ses paupières. La lettre, il l'avait lue, plusieurs fois d'affilés. Elle l'avait ému, encore et encore, plus que tout au monde. En exorcisant ses craintes, elle lui avait fait du bien. Pour la première fois depuis un an, quelque chose lui avait donné l'envie d'espérer. Oui il avait pleuré. Un mélange de mélancolie et de joie tinté de violence et de félicité s'était emparé de lui.

CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant