8. Voyage en Inde (3) : train, hijras et larmes

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Le lendemain matin, aux aurores, la troupe fit route vers Bangalore où elle eut juste le temps de visiter le City Market, un des plus grands et splendides marchés aux fleurs de toute l'Inde, avant de prendre un train en direction de Pondichéry. De ce passage en coup de vent, Kilian retint le nom d'une vache, Anshika, avec laquelle il avait sympathisé et qui semblait avoir envie de se nourrir de ses cheveux. Pour Aaron, ce fut plutôt la rivière qui traversait la ville et qu'on pouvait sentir à des centaines de mètres à la ronde qui lui resta en mémoire. Égouts à ciel ouvert aurait été un terme plus juste, d'ailleurs, pour qualifier ce cours d'eau. Voir tant de gens vivre au bord de cette déchetterie à quelques encablures à peine du principal centre commercial de la région, c'était un véritable crève-cœur. Les époux Guignard, eux, s'en moquaient bien. Ce qui leur importait, c'étaient les couleurs. Ces fleurs, ces épices, ces vêtements, ces animaux... tout ce qu'ils voyaient justifiait les giga-octets de photos qu'ils avaient déjà prises au cours de ce fabuleux voyage. Jean-Marc leur fit remarquer, non sans humour, qu'ils avaient une vision particulièrement sélective de la réalité. À travers leurs yeux, l'Inde était un pays magnifique sans misère ni estropiés. Ils trouvaient tout normal, même de voir des enfants travailler en cachette pour ramener un peu d'argent à leur famille.

« Si tu travailles mal à l'école, Zack, on t'enverra faire un stage ici ! »

Les mauvaises blagues de son père, le jeune adolescent ne les écoutait même plus. Elles l'ennuyaient. Si seulement l'homme qui l'avait mis au monde pouvait grandir un peu ! Comme lui venait justement de le faire. Avec ce qui s'était passé à Hampi, même si tout cela n'avait été qu'un simple baiser, il n'était plus tout à fait le même. Il se sentait fort. Il se sentait capable de protéger quelqu'un. D'ailleurs, Camille semblait avoir besoin de lui. Dès le lever, sa mine avait été triste et les contacts évités.

C'était une fuite en avant, causée par un mensonge trop lourd à porter et un bonheur aussi faux que les apparences. La culpabilité la rongeait. Seul problème qui l'empêchait de tout arranger : elle se sentait amoureuse. Amoureuse d'un jeune premier qui n'avait jamais connu ça et qui était aveuglé par ses stupides certitudes. Alors, toute la journée, elle évita de se montrer trop proche, préférant rester, le cœur serré, avec son père qui la comprenait. Bien sûr, Jean-Marc aurait voulu tout arranger. Le pouvait-il seulement ? Ce que recherchait Camille, ce n'était pas que le bonheur, c'était aussi une certaine forme de rédemption. Il n'avait pas la force de lui interdire de se faire passer pour ce qu'elle n'était pas vraiment, malgré son désir de pourtant l'être.

Alors, pour que son malaise ne soit pas trop visible, l'adolescente prétexta un mal de ventre cyclique et commun à toutes les femmes en âge de procréer. Bienveillant, Aaron lui posa la main sur l'épaule. Ce qui l'impressionnait avec ce jeune brun, c'était sa capacité à tout comprendre, tout de suite, sans pour autant utiliser le moindre mot. Si seulement le petit blond qui l'accompagnait était né avec les mêmes facultés.

« Mais c'est complètement con ! Tu peux pas avoir tes règles ! Même moi j'sais ça ! Ça doit être autre chose qui te fait mal ! »

Heureusement que le candide adolescent avait eu la présence d'esprit de faire preuve d'un minimum de discrétion avant d'objecter à ce mal imaginaire, sans quoi le sermon qui suivit aurait été encore moins doux.

« 'Tain, mais t'es vraiment trop con quand tu t'y mets, toi ! Merci Einstein, maintenant, tu peux retourner aller caresser des vaches ! »

Les yeux colériques de Camille et les explications d'Aaron le convainquirent qu'en effet, les bovidés étaient sans doute de meilleure compagnie. Comment aurait-il pu deviner que la prétendue douleur n'était qu'une excuse à un mal plus profond qu'elle voulait garder secret ? Tout en se mettant à la recherche d'un spécimen propice à la zoolâtrie qui voudrait bien poser avec lui, il lâcha une petite pique à l'adresse de sa camarade, ce qui fit gronder de colère cette dernière.

CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant