Prologue

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I- Ils étaient aveuglants, ici et là, tous ces éclats de verre. Ezra s'en approcha, admiratif du somptueux spectacle qui se présentait à ses pieds ; ces spectres de couleurs que créait la combinaison verre et lumière. Il n'avait jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi séduisant pour l'œil. Tout à fait merveilleux. Il se saisit de l'un d'eux qu'il fît tourner entre ses doigts, et ne le mania guère avec grandes précautions à la manière de l'enfant qu'il était encore : il se coupa. Sa flanelle blanche s'en retrouva, maladroitement, mouchetée de rouge mais la broche en métal qu'il portait sur le col fut miraculeusement épargnée. D'ailleurs cette dernière le dérangeait affreusement – c'était un soleil constitué de douze branches, dont deux d'entre elles lui griffait, lui lacérait la gorge laissant des traces rouges sur sa peau laiteuse. Violence et brutalité s'accaparant manifestement ce corps encore chaste et pur de tout pêchés, qui s'installent dans l'âme et qui tourmentent. – Mais il ne pleura pas, il ne vacilla pas. Il frotta son pouce contre son index et sentit le sang s'étaler sur ses deux doigts ; il devenait légèrement collant et poisseux, et s'était éclaircis de plus belle. Les ombres pleuraient, larmoyaient et la lumière elle-même saignait. Un long silence s'était installé, quelques fois interrompu par les piaillements des corbeaux alentours qui résonnaient tel un long requiem morbide. En une écriture cursive remarquable, le petit garçon se mit à étaler son sang afin d'écrire son prénom sur le mur d'en face, peu de temps après que sa mère ne découvre son chef-d'œuvre et qu'un cri d'horreur ne s'en suive. Et qu'il ne puisse pas, d'un revers de main, essuyer le sourire sur son visage.

II- Eden murmura : « Je suis sensible à la beauté des choses. Je suis l'âme séduite par la beauté du monde. » Habillée d'une robe blanche aux dizaines de volants aussi légers que l'air, éthérée et vivante, elle ressemblait remarquablement à une grande figure du préraphaélisme. Elle riait aux éclats, un son semblable aux cordes en cascade d'une harpe dorée ; heureuse et maîtresse d'une joie de vivre tout à fait exquise pour l'enfant qu'elle était. Les brins d'herbes frémissaient au gré du vent en même temps que virevoltaient ses mèches brunes truffées de rubans que s'efforçaient en vain ses amies à faire tenir en place. Plus loin se dressait un merveilleux banquet mettant en scène une grande table garnie sur laquelle étaient disposés une variété incroyable de fruits ainsi que d'autres mets : grappes de raisin, des noires ou des vertes, des grenades coupées en deux dont les grains semblaient plus rouges encore que des rubis fulminants, des pommes juteuses et verdoyantes suivies de tellières de porcelaine et d'argent, pour poursuivre avec des quantités gigantesques de têtes de lapins fumantes dans les plats victoriens, et deux carafes d'eau claire étaient mises à disposition à chaque extrémité de la table. Ici régnait une atmosphère festive et mélodique. Tout ceci méritait amplement le nom de Dionysie fabuleuse, un endroit où la folie et l'ivresse de l'âme, là où les lèvres teintées de rouges, les pieds nus sur l'herbe fraîche, les couronnes de lierre et d'hortensias, ainsi que l'ivoire, le verre et l'ébène, les troubadours, les nymphes et les fées tournoient et tourbillonnent sur eux-mêmes, et le reflet de la lumière sur l'eau, jusqu'aux femmes aux capelines flottantes qui viennent et qui partent, ces hommes aux vestons tacheté de vin et de larmes, un enfant dans un landau et ils papillonnent tous et toutes. Tout à fait divin et délicieux. Ils papillonnent tous et toutes entre ses mains.

La douleur exquiseWhere stories live. Discover now