III

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Sur le chemin du retour la jeune femme ne put s'empêcher de se résigner à un certain regret. Ô combien elle aurait aimé de voir ne serait-ce qu'une ébauche de son portrait ! Elle n'avait pas osé faire part de sa requête au peintre en raison de son mauvais caractère malgré l'adoucissement de sa voix qu'elle eut bien pris soin de remarquer pendant le reste de l'heure. Mais maintenant il était trop tard, et il fallait désormais patienter jusqu'au lendemain. « Je meurs d'envie de tout raconter à Mairead ce soir ! Elle n'est pas au courant de ce marché d'ailleurs. » pensa-t-elle tout en évitant minutieusement les crevasses dans lesquelles la neige avait fondue, et qui n'était plus qu'un liquide boueux.

Les nuages gris s'étaient dissipés pour laisser place à des rayons plus chauds et la température avait un peu augmentée causant la fonte du gel et de la neige autrefois aussi dure que la roche. Le paysage terne et fade qu'elle connaissait tentait difficilement de reprendre des couleurs par l'arrivé du soleil ; pour ainsi dire seul le ciel s'était envelopper de son manteau bleu, pendant que le reste restait presque incolore. Siobhán marchait de rues en rues et passait devant un nombre incalculable de propriétés jusqu'à apercevoir un minuscule point noir qui grossissait au fur et à mesure qu'elle approchait : c'était Eltham. Bientôt cette tâche grisâtre devint une forme distincte propre à une architecture géorgienne et se dressait devant la jeune femme de toute sa hauteur. C'était une très belle bâtisse entourée d'un petit jardin encore recouvert par la fraîcheur de l'hiver.

Elle réussit sans grand mal à dépasser la grille forgée, - elle était restée ouverte après son départ – avant de traverser le jardin et le chemin dallé pour arriver jusqu'à la porte. La chaleur du foyer eut bien fait de l'envelopper dès qu'elle eut posé le pied sur le parquet. Néanmoins elle eut à peine le temps de refermer la porte d'entrée et de profiter du cadre lumineux que lui procurait le lieu que Mairead vint à sa rencontre : « Où étiez-vous passée ? Deux heures et demi pour seulement « quelques courses » n'est-ce pas beaucoup ? » dit-elle sans prendre la peine de cacher son ton suspect bien qu'il en était plus de l'inquiétude que de la colère.

Mairead était la gouvernante d'Eltham, cependant elle occupait une place plus importante dans le cœur de sa maîtresse que les autres, même si elles témoignaient toutes d'une affection tendre à son égard et qu'elle était réciproque. En effet, Mairead s'occupait déjà des services de Madame lorsque celle-ci ne portait pas encore le nom de son époux. Cela faisait déjà plusieurs générations qu'elle travaillait pour sa famille, dont sa mère avant elle, sur les terres de son pays natif en Irlande. Inutile de préciser la complicité grandissante qui s'est installée entre les deux femmes au fil des années.

Parfois il lui arrivait de regretter ou de songer aux plaines vertes couchées par le vent, à la lande qui s'étends à perte de vue, à la mer tumultueuse et aux vagues puissantes qui siègent à ses pieds. Cet endroit où la nature reprenait ses droits, et où la force dont elle faisait preuve ne connaissait ni barrière, ni limite, qu'elle soit matérielle ou non. Rage et beauté existaient simultanément dans un seul et même lieu.

Là où la domestique emmenait Mrs Esher en promenade lorsqu'elle n'était qu'une petite fille bien tranquille et qu'elles y restaient jusqu'au soir. Elle lui racontait une multitude d'histoires afin de passer le temps quand la fillette se montrait de plus en plus impatiente, et que l'ennui si bien détesté des enfants commençait à la démanger. Bien sûr elle ne tenait plus en place, alors Mairead la prenait sur ses genoux et lui contait une histoire comme elle savait si bien le faire.

Mais pour rien au monde elle n'échangerait sa vie, ici en Angleterre, pour retourner en Irlande. Elle avait désormais ses habitudes, ses responsabilités, et son entourage ici, ce serait de la pure folie que de vivre là-bas. Plus rien ne la rattachait, elle n'avait plus de famille, plus personne pour attendre avec tristesse son retour. Le passé appartenait au passé, synonyme de moments heureux soit, mais il fallait avancer et ne pas se laisser entraîner dans ce tourbillon de souvenirs si tentants.

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⏰ Last updated: Jun 22, 2017 ⏰

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La douleur exquiseWhere stories live. Discover now