Extrait premier

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Le 18 novembre **46

J'ai peur.

Il parait qu'écrire est le seul moyen de dévoiler ses frayeurs et ses pensées. Je les couche donc sur du papier que m'ont acheté PapAlvin et PapEven sous ma demande expresse. C'est un beau papier. Bien blanc, si blanc que rien ne semble l'altérer, excepté ma plume et mon encre, qui retranscrivent le contenu de mon esprit.

J'ai peur. Peur pour mes parents, pour mes deux pères. Alors que les mariages entre Blancs et Noirs commencent à peine à être acceptables et acceptés, les violences continuent. Tout à l'heure, la télévision a annoncé qu'un couple de femmes blanches avait été tabassé par un groupe d'hommes noirs dans la rue.

Dire que l'esclavage est fini depuis longtemps, je n'ose pas imaginer ce que c'était à l'époque... La vie des Blancs devait être un véritable enfer ! Pour autant, je n'ai pas développé de haine envers l'homme noir, même s'ils sont parfois franchement injustes envers nous. Je ne veux en développer. Nos relations ont évoluées, elles évolueront encore. J'y crois, et j'ai surtout envie d'y croire.

Je ne veux pas que notre famille soit éclatée par le racisme...

Cependant...

J'ai surtout peur pour Gaëlan, mon Ami. Pas un ami, mon Ami, avec un grand A. Plus Ami que n'importe quel autre Ami. Nous deux, ce n'est pas comme les autres Amis. C'est plus profond... plus vrai. Nous avons été désignés à notre naissance, comme tout le monde, parmi un voisinage proche, afin d'être les confidents l'un de l'autre. Un garçon et une fille, aucun risque de liaison autre que l'amitié. Mais, alors que les Amis de ma connaissance ont quasiment arrêté de se voir, nous parlons presque tous les jours. Il connait tout de ma vie et je connais tout de la sienne.

Mais les révélations qu'il m'a offertes aujourd'hui dépassent de loin tout ce que l'on a bien pu se dire jusqu'alors.

Je ne sais pas s'il aurait mieux fait de me le cacher ou de m'en parler, vu comme je suis inquiète à présent. Même si j'ai été honorée de sa confidence.

« Fay... je tenais à ce que tu le saches... je suis hétérosexuel. »

Son aveu m'a prise de court, mais je dois avouer que cela ne m'a plus étonnée que cela. Après tout, depuis que nous sommes en âge de comprendre les inégalités du monde, il supporte fervemment le droit des hommes.

Est-il normal de pouvoir définir notre identité sexuelle à treize ans ? S'il me l'a annoncé, c'est qu'il a réfléchit... Voire même qu'il est déjà tombé amoureux d'une fille.

J'ai peur pour lui, pour ce qu'il lui arriverait s'il se fait attraper, ou dénoncer. Il m'a assurée que personne n'est au courant, ce qui ne me rassure que très peu.

Depuis que nous sommes gamins, on nous serine que les hétérosexuels sont dangereux pour la société et que si quelqu'un bravait la loi et les interdits, il serait... enfermé au Centre.

Le Centre... personne ne sait vraiment ce qu'il s'y trouve. On y enferme les criminels, dont les hétéros, pour qu'ils puissent apporter leur contribution à la société en toute sécurité. Tout ce que j'en sais, c'est PapEven qui me l'a raconté.

Mon père y a travaillé quelques années, avant que je ne naisse. C'est d'ailleurs là-bas qu'il m'a vue pour la première fois !

Les hétéros fournissent le monde en enfants, ce sont eux qui nous créent. Ils sont utilisés comme « machines à bébés ». Grâce à eux, la société vit !

Cependant... on ne connait pas les conditions de détention. Et puis... s'ils sont les fournisseurs d'enfants, cela signifie qu'ils n'en possèdent pas, qu'ils sont obligés de les faire et ensuite de s'en séparer.

Je ne veux pas que Gaëlan subisse ça. Je veux qu'il vive heureux, c'est un garçon génial, tout ce qu'il mérite est un mari et un enfant. Mais s'il est hétérosexuel, cette vie lui est interdite.

Faut-il voir cette orientation comme une souffrance ? Dans un sens, je pense que oui. Après tout, il lui faudra toujours vivre caché, sans afficher son bonheur. Il ne pourra jamais se marier.

J'ai peur.

Ouvrons les yeuxWhere stories live. Discover now