Extrait sixième

46 14 33
                                    


Le 13 septembre **50

Enfin, je peux reprendre le stylo afin d'écrire autre chose que des cours, des exercices ou des examens.

Écrire m'a manqué, pouvoir m'exprimer avec autant de liberté n'est pas, c'est assez triste tout de même, une chose explicitement autorisée. C'est bien dommage.

Je pense que ce serait hilarant, mais aussi très étrange, si tout le monde était sincère et s'exprimait comme il le souhaitait.

À mon avis, les premières personnes auxquelles j'irais dire le véritable fond de ma pensée qui les concerne seraient mes collègues du Centre.

Depuis que j'ai été embauchée, il y a de ça quelques semaines déjà, je les déteste, je les hais, je les abhorre. Elles sont juste impossibles. Et pourtant, lorsque je suis devant elles, je suis obligée de leur sourire et d'être aimable avec elles.

Ce n'est pas tant leur comportement envers moi qui me gêne, mais leur comportement tout court. Elles sont exécrables. Toujours à dénigrer quelqu'un, à lui faire des compliments et, dès qu'il tourne le dos, à le critiquer. Et leurs cibles sont toujours des hommes. Oui, elles sont d'énormes sexistes.

Voilà l'exemple typique des femmes qui se sentent supérieures seulement parce que la nature les a dotées de la possibilité de faire des enfants.

C'est dégueulasse.

Profiter de la différence des autres pour les attaquer, n'est-ce pas là le comportement des plus faibles d'esprit ? De ceux qui cherchent à se sentir puissant par l'insulte ou le dédain ?

Pour la première fois depuis que Gaëlan s'est fait emmener, j'ai peur pour lui. Enfin, encore plus qu'avant.

Non, en fait... je n'ai pas peur pour lui. J'ai peur pour moi.

Pour la première fois, je doute. Et si je ne le retrouvais pas ? Si... s'il n'était plus là ?

Je me suis toujours doutée des conditions difficiles de la vie de prisonnier au Centre mais... jamais la pensée de la mort ne m'a effleurée. Jamais l'idée de sa mort ne m'a effleurée !

Pour moi, il était certain que je le retrouverais. Mais, maintenant... j'ai peur.

Comment vais-je réagir si je découvre qu'il n'est pas là ? Qu'il n'est plus là ?

Tout à l'heure, le Groupequejabhorre échangeait sur le décès d'un des pensionnaires, comme on les appelle. La vague de terreur que j'ai ressenti alors m'a paralysée quelques secondes. Je ne pouvais plus parler, ma bouche s'ouvrait et se fermait, j'essayais avec désespoir d'avaler de l'air, mais c'était comme si mon corps ne me répondait plus. Mes membres tremblaient, des spasmes secouaient tout mon organisme. Je n'étais plus qu'un cadavre vivant.

Cela n'a duré qu'une demi-minute, mais m'a bouleversée au plus profond de moi.

Par chance, j'étais dans un couloir, hors de leur vue, sinon j'en aurais entendu parler pendant près d'un siècle.

La journée est finie, pour aujourd'hui du moins, mais dès demain, je commence mes recherches pour le retrouver.

Depuis le début, je me disais qu'il fallait attendre qu'on me nomme dans le secteur des hétérosexuels. Mais je dois me dépêcher. Ici, rien n'est jamais sûr, la mort peut survenir à tout instant. Elle survient à tout instant, même.

Après tout, personne ne se soucie des internés, ils n'ont plus rien, plus personne.

J'ai découvert ces vérités il y a quelques heures à peine. Et elles ont été suivies par une autre, que j'avais refusé de regarder en face jusqu'ici.

Regarde bien, Fay. À ton avis, pourquoi n'arrives-tu plus à aimer ? Pourquoi les amourettes que tu t'autorises ne durent que quelques semaines, sans suites ? Pourquoi planifies-tu tous tes amours ? Et, surtout, pourquoi es-tu à ce point obnubilée par Gaëlan ? À tel point que tout te fait penser à lui ?

Ouvre les yeux, Fay, tu es amoureuse.


Ouvrons les yeuxOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz