Néria II, la découverte

Visions (3)

Néria avait aussitôt prévenu le chef du refuge. Maïra l'avait accompagnée. Elle aussi sentait le désastre arriver. Bidzane avait écouté les sirènes avec attention, avait réuni la communauté entière et prit des mesures de défense. Des armes étaient sorties comme par miracle de cachettes secrètes.

Il avait écarté Flore, prenant au sérieux la menace. Celle-ci persistait à rester tout proche de lui et Bidzane dut plusieurs fois la repousser. Il agit avec douceur au départ mais Flore revenait sans arrêt à la charge. Perdant sans doute patience, il lui fit comprendre un peu brutalement les choses.

Néria la retrouva à l'écart de tous, la tête enfoncée dans ses bras en train de renifler inélégamment.

La jeune sirène eut l'impression de revenir quelques années en arrière. Flore s'était toujours comportée de cette manière. Petite fille, elle s'isolait toujours en cas de conflit. Plus de dix fois par an, la jeune Néria l'avait retrouvée ainsi accroupie et roulée en boule sur elle-même. Elle l'avait consolée, rassurée, encouragée.

Aujourd'hui encore, Néria s'assit à ses côtés pour la réconforter. Elle se chargea de lui réexpliquer avec patience la situation exceptionnelle

— Il t'a prévenu, Flore : pas d'attaches, pas de liens, lui répéta-t-elle en lui prenant doucement la main. Bidzane est un triton qui ne supporte pas les chaines. Il fait ce qu'il veut avec qui il veut. Aujourd'hui, la menace est grave. Laisse-le décider de ce qu'il faut faire. Il est le chef ici. Il doit prendre des décisions importantes.

— Mêle-toi de tes affaires, la repoussa la blonde amaigrie. Tu crois vraiment que je ne suis pas au courant de ce qui se passe ? Je sais que tu as embrassé Bidzane avant que j'arrive. C'est de ta faute. Je suis sûre que c'est toi qui fais tout pour qu'il s'éloigne de moi. Tu l'as ensorcelé. Je t'ai vu manigancé avec les magiciennes. Tu es une sorcière ! Grâce à tes potions, c'est de toi dont il est amoureux, je le sens. Tu n'as pas honte de toi de le faire tourner en bourrique, comme tu l'as déjà fait avec Atropos ? D'ailleurs, Atropos, tu l'as très vite oublié et très vite trompé... alors ne t'avise pas de me faire la morale, cracha-t-elle menaçante.

Flore s'éloigna précipitamment des roches où elles discutaient et dans son énervement, ne prêta pas attention à une roche pointue qui saillait en face d'elle. Elle s'écorcha vivement la paume de sa main et se mit à saigner abondamment. Néria appela Zione qui se trouvait à proximité. Elle s'approcha de Flore pour lui empoigner la main mais celle-ci la poussa brutalement.

Zione, qui s'avançait avec des algues cueillies à la hâte, prit le relais. Néria s'éloigna la gorge serrée. Elle essayait de comprendre son ancienne compagne, de se mettre à sa place. L'empathie, lui aurait suggéré la pédagogue Maïra ! Qu'avait donc vécu Flore pour devenir aussi agressive avec elle ?

Les paroles de cette dernière l'avaient une nouvelle fois blessée. Ses yeux se brouillèrent et firent apparaître une vision. Flore était une petite sirène de dix ans. Toute seule, elle sanglotait. Au loin, Méléagre se moquait d'elle, la rejetait. Elle grandit subitement et Japet apparut. Il riait aussi d'elle, de sa naïveté à croire en ses amis, qui l'avaient tous abandonné. Puis, Flore qui l'observait quand elle discutait avec Zione et Maïra dans sa tanière ; Flore cachée ensuite dans les roseaux le soir où elle regardait les étoiles entourée de Bidzane et Cléia dans la clairière ; et encore Flore accrochée à Bidzane qui s'esclaffait alors qu'elle lui avouait son amour. Enfin, la jeune sirène qui pleurait, entourée de plusieurs corps sans vie. Plus personne ne souriait cette fois. Un silence de mort... puis la néréide rejetée de tous qui s'écroulait, encore seule...

Quand Zione la rejoignit, Néria était perdue. Elle ne savait plus quoi faire, quoi penser. Zione ne la rassura pas. Au contraire. Elle lui demanda abruptement de chasser Flore au plus vite du refuge. Elle avait lu en elle. Flore apportait le malheur dans leur communauté ; elle devait partir au plus vite ! La petite sirène Naïpana, d'à peine quinze ans, avait à cet instant une assurance qui ne trichait pas.