IV - Fuir

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Bombe.

Nicolas se sentit soulevé de terre et propulsé quelques mètres plus loin. Il mordit la poussière et mêla son sang à la boue des tranchées. À bout de forces et de souffles, il resta quelques instants à terre, comme pour puiser les forces qui lui manquaient dans ce sol ravagé. Sa vision était encore troublée par le choc, la poussière et la fumée. Il toussa jusqu'à s'en déchirer la poitrine pour évacuer les miasmes de ses poumons et chercha en tâtonnant son fusils qui avait glissé de ses mains. Il allait touché le fer rouillé quand un pied écrasa sa main et que le jeune homme se sentit soulevé comme un pantin.

- Regarde-moi, nigaud ! Cracha le soldat.

- Je...

Nicolas en avait assez de se battre. Il était fatigué. Il était horrifié. Il voulait s'enfuir.

- Pas plus de forces qu'une poupée molle ! Et ça, c'est un prince. Ridicule !

Greskov. Il n'y avait que lui pour parler de la sorte. Le cauchemar ne se terminait jamais.

- Allez, allez ! Au feu, soldat ! Au feu. Et récupère ton arme ou t'es un homme mort.

Nicolas sentit qu'on lui glissait l'arme entre les doigts juste avant d'être poussé brusquement vers l'avant. Ses jambes flageollantes encaissèrent difficilement le coup et le jeune homme dut s'aggriper au mur de la tranchée. Sa vue revint légèrement et il put distinguer quelques vagues formes évoquant les autres soldats.

- Rejoints les autres, là-bas, et aide-les à reconstruire la tranchée, ordonna le caporal Greskov d'un ton froid.

Froid. Il faisait si froid, ici. Le jeune homme était habitué aux hivers russes, mais sous d'épaisses fourrures et à l'abri d'une chaude maison au feu ronflant. Tout un autre univers. Nicolas ne sentait même plus ses doigts bleus sur la crosse de son arme.

Il s'avança en titubant vers les autres pour obéir à l'ordre. Il y avait longtemps qu'il se trouvait ici. On l'avait oublié, comme si on ne voulait pas le remplacer. Il n'en pouvait plus et ne parvenait même plus à réfléchir. Dormir... C'est tout ce qu'il aurait voulu.

Les jours avaient passé depuis qu'il était arrivé ici, ou les mois peut-être. Il ne savait plus. Il était arrivé sans grade, simple fantassin, sous les ordres du caporal Greskov, l'ombre de son ennemi. Les humiliations s'étaient mises à pleuvoir. Mais le jeune homme avait voulu faire preuve de courage et il était allé bravement au feu. Les terribles conditions de vie avaient rapidement miné son moral. Il avait cherché quelques temps à lier des amitiés, mais la rumeur avait vite couru qu'il avait été prince, qu'il était prince. Hélas ! Il prêtait trop à rire. Greskov avait fait du prisonnier la risée de ce petit coin reculé, au front. Nicolas avait fini seul, et il était dur d'être seul.

Aux rares moments de pauses, de multiples pensées envahissaient son esprit. Il se rappelait qu'il avait cru pouvoir trouver la liberté en se rendant au front. Il s'était senti fort. Il s'était promis de jeter toutes ses forces dans la bataille pour passer en dehors des mailles du filet qui l'étranglait. Mais dès le premier jour où il avait tenté de s'échapper de la tente - ils étaient bien les seuls à bénéficier d'une tente ici - qu'il partageait avec Greskov, ce-dernier l'avait rattrapé et menotté au poteau. Depuis, le jeune homme dormait avec ses chaînes. Il s'y était habitué. Il y avait pire...

Pire, comme cet enfer de la guerre. Le bruit tonnait de partout, à vous en rendre fou. Des sifflements ou des grondements, qui se répétaient à l'infini. Il y avait la poussière et la fumée, la fumée du gaz moutarde qui asphyxiait parfois jusqu'à la folie. Il y avait les éclats d'obus qui mutilaient tout autour de lui en des blessures toujours plus abominables. Il y avait la saleté dans laquelle le jeune homme se traînait depuis des mois, saleté qui apportait les maladies, les poux et les puces, saleté qui augmentait encore les envies de suicide. Il y avait la faim qui mordait le ventre et le faisait longuement gémir, et le faisait rêver. Un seul croûton de pain, s'il vous plaît ! Il y avait la haine des autres...

Le Prince russeحيث تعيش القصص. اكتشف الآن