Nicolas avait passé Perm où il s'était brièvement arrêté pour acheter des vivres et de l'eau en quantité. Il avait également échangé son cheval contre un âne, plus robuste. L'Oural était juste sous ses yeux. C'était maintenant qu'il partait à la conquête de ces montagnes. Seul.
Le traîneau s'élança. Le Printemps commençait à pointer le bout de son nez, aussi la neige se faisait moins dure. Mais en ces montagnes, il n'y avait pas à s'inquiéter : le traîneau trouverait son bonheur.
Nicolas jeta un coup d'œil à sa boussole et s'engagea vers le chemin qui correspondait le mieux à sa direction. Il montait rapidement. Et le début fut relativement aisé quoique particulièrement fatiguant. Le chemin était encore large et le dénivelé point trop élevé. Le jeune homme était descendu du traîneau pour tirer son âne par la bride.
Il n'avait pas pris la route habituelle, par crainte de se retrouver face aux sbires qui le poursuivaient. Mais cette sente était connue pour sa difficulté. Nicolas passerait peut-être inaperçu, cependant son chemin s'en trouverait ralenti et il prenait un risque conséquent.
La neige recouvrait tout, les fossés et les précipices également. Le jeune prince connaissait ce danger et tâtonnait devant avec un bâton taillé en pointe pour s'assurer de la solidité du chemin. Peu à peu, la sente se rétrécissait. Le dénivelé croissait. Les sabots de l'âne faillaient. Et Nicolas sentait sa fatigue augmenter sans trouver d'endroits où se reposer.
"Pour Aïsha. Je tiendrai. Souviens-toi de son sourire..."
Son sourire... L'effort parut soudainement moins rude et il put avancer plus vite. Comme un refrain qu'il se répétait et qui créait l'énergie manquante en lui, il murmurait tout bas le prénom d'Aïsha. Il était toujours fou d'elle. Fou amoureux. Et la distance, avec ces trois années passées sans nouvelles, avaient magnifié l'amour qu'il lui portait. Ses défauts s'étaient estompés, et ses qualités exagérées. Il avait hâte, oh si hâte de la revoir !
Dans son enfance, elle avait été sa seule amie. Sa complice de toujours. Ils s'enfuyaient dans les champs, dès que le trop sévère Kezanskov avait le dos tourné. Et ils inventaient des jeux, des cabanes, des chansons. Dans son enfance, elle avait été tout : toute son enfance.
Mais après la mort de ses parents, le lien ne s'était pas rompu. Aussitôt à Pétrograd, Nicolas avait remué ciel et terre pour la retrouver. Kezanskov ne se doutait de rien car il aurait instantanément condamné cette relation. Et le jeune prince finit par découvrir qu'elle se trouvait également à Pétrograd. Ils s'étaient vu en cachette les quelques fois ou le jeune homme avait l'autorisation de sortir. Et avec un sourire délicieux, Nicolas se rappela cette fois où ils s'étaient joués du précepteur...
Le prince Odov avait été invité au palais du Tsar pour y rencontrer ce-dernier. L'invitation avait surpris Kezanskov mais il n'avait pu que s'incliner. Aïsha devait retrouver Nicolas, ce soir-là. Il sautait par sa fenêtre et la retrouvait chez elle. Aussi cette invitation les contraria d'abord. Mais un subterfuge se dessina lentement dans leurs esprits.
Aïsha travaillait chez une célèbre famille de Pétrograd également invitée à la réception. Elle y accompagnerait donc les deux filles aînées qui faisaient leurs premiers pas à la cour. Nicolas réunit ses dures économies pour acheter à son aimée une robe somptueuse qu'elle dissimula le temps de se rendre chez le Tsar. Alors, elle se changea rapidement et parut drapée de ses plus beaux atours. Kezanskov surveillait son protégé du coin de l'œil, mais il ne put rien dire lorsque Aïsha vint saluer Nicolas comme le parfait inconnu qu'elle n'avait jamais vu. Le précepteur n'avait pas reconnu la jeune fille. Et les deux amants passèrent leur soirée ensemble, riant dans le dos de ceux qu'ils trompaient - Aïsha devait tout de même prendre garde à ne pas croiser la famille qu'elle servait. Le paroxysme de cette réception fut lorsque Nicolas fut prié de venir saluer le Tsar Nicolas II. Aïsha le suivit et exécuta la révérence à ses côtés.
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Le Prince russe
Historical Fiction1917 - La Russie se meurt. "Nicolas n'était pas communiste, mais cavalier seul. Nicolas n'avait pas de principes, mais une flamme d'amour et de haine qui brûlait en lui. Nicolas ne voulait pas le pouvoir, mais la satisfaction d'avoir réussi." Et Nic...