XXIII - Tuer

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Il convient maintenant de sauter quelques temps pour attendre l'arrivée du prince à Irkoutsk. Omsk, Novossibirsk et Krasnoïarsk ont été traversées avec rapidité grâce à la voiture. Et le jeune prince eut la présence d'esprit de se montrer plus prudent en dormant dans des hôtels moyens sous un nom d'emprunt.

Mais Irkoutsk approche... Et le destin a ses lubies quelquefois. La voiture file. Filait. Nicolas tenait le volant d'une main crispée. Il se souvenait qu'Andreï lui avait appris la conduite un soir d'Hiver où il l'avait supplié. "Ce n'est pas mon précepteur qui me l'apprendra..." Son ami avait obéi. Et le jeune prince avait pris le volant en main.

Dans son inconscient, il avait toujours assimilé la voiture à un vecteur de puissance. Elle incarnait la possibilité d'être le premier en tout lieu, parce qu'on était le plus rapide. Et puis, c'était un moyen de fuite formidable. La pointe de la révolution industrielle.

Le moteur rugissait. Le vent secouait. Le paysage défilait. Et Irkoutsk approchait. Aïsha approchait. Le cœur du jeune homme battait plus fort à mesure qu'il avançait. Il croyait déjà sentir les effluves du parfum de sa bien-aimée et s'en enivrait. Elle envahissait l'espace et dansait autour de lui. Il frémissait. Sa hâte s'en trouvait accrue mais le temps ne passait pas plus vite.

Impatience.

Les heures s'écoulaient toujours lentement. La voiture allait. Irkoutsk approchait. Et Greskov se trouvait déjà sur place.

Le sergent avait survécu au voyage, plus résistant que quiconque. Haineux et puissant par le petit groupe qu'il traînait derrière lui et ses maîtres qui lui donnaient plein pouvoir, il tissait déjà à Irkoutsk le schéma confus des intrigues qui devaient accueillir le jeune prince. Et Aïsha se trouva surveillée à son insu. Cette petite palestinienne, hameçon du plus riche prince de Russie, était devenue la personne la plus espionnée d'Irkoutsk. Mais les deux amants ignoraient ce filet invisible et ne pensaient qu'à l'autre.

Nicolas parvint au sommet d'une dernière colline et eut cette vision enchanteresse du lac Baïkal et de la ville d'Irkoutsk. La promesse de l'amour... Et là, en contrebas, vivait celle pour qui son cœur battait si fort.

- C'est peut-être la fin de mes épreuves...

Il n'attendit pas plus longtemps pour faire vrombir le moteur et dévaler la descente à vive allure. Il entra dans la ville le menton haut et fier, le dos bien droit et le sourire ravi de la victoire.

- Aïsha, où es-tu...?

Elle l'attendait plus loin, dans la maison de l'oncle de Kezanskov. Elle ne savait pas qu'il était là. Non, elle travaillait, tout simplement comme à son habitude. Et le prince venait chercher sa bergère, conte de fée...

Nicolas n'attendit pas d'être reposé et courut d'un pas alerte et amoureux, volant sur son petit nuage, vers la prison de sa bien-aimée. Servante chez l'oncle de Kezanskov...

Et il la vit.

Il n'y avait qu'elle. Et elle ne vit que lui. Trois ans avaient passé mais rien n'avait changé chez eux.

- Est-il possible que pareille beauté existât sur terre ? Murmura Nicolas éblouï.

Le seau qu'elle tenait glissa au sol et l'eau se renversa. Elle remonta ses jupes et accourut vers lui. Le prince était hypnotisé.

- C'est toi.

Il voulait la serrer très fort dans ses bras pour s'assurer qu'elle était bien à lui, mais avait si peur de briser ses os si minces. Toute fragile, toute menue, si belle, sa Aïsha. C'était un rêve.

- Je t'aime, je t'aime, je t'aime tant Aïsha.

Elle laissa quelques larmes glisser le long de sa joue.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant