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Un invité [.01]

Je me vois à l'arrêt de bus, près du lycée.

Face au muret devenu mur par la grande barrière de métal forgée qu'il soutient.

Le soleil s'y couche, là bas, où sont les vignes et la petite tour.

Je suis de l'autre côté de la route, les voitures passent devant comme des fantômes. Tout est au ralenti. Le sol est humide, la pierre blanche broyée qui constitue le trottoir est trempée.

Je suis mentalement bloquée dans cette rue.

Je faisais le chemin si souvent.

Je faisais les cent pas en attendant le bus, qui mettait parfois des heures à arriver.

Comment tu y es arrivée ?

Je vois toute l'avenue et les rues avenantes très clairement.

J'y suis arrivée avec une musique qui m'a rappelé les averses vers lesquels je levais les bras et le visage.

J'y suis assez régulièrement.

Depuis quand tu y vas ? Et à quelles occasions ?

Des flashs que j'efface.

Dès que je pense à quelque chose relatif à l'école.

Ce qui correspond à beaucoup de choses.

Sentiments, musiques, choses administratives.

Je me souviens aussi très clairement de la fac.

Ici, qu'est-ce qui t'y a amenée ?

Je ne sais pas.

Dans cette rue, j'ai vraiment passé les pires et les plus beaux moments.

C'est un endroit où j'ai énormément réfléchi et imaginé.

"les plus beaux moments" ?

C'était le chemin qui menait en enfer, et celui qui m'en sortait.

C'était les derniers moments de répits, trop souvent anxieux, et la délivrance, trop souvent fataliste.

Les plus beaux moments. Quand j'écoutais cette musique. Et celle là. Et celle là. Et le ciel qui éclatait d'oranges et de bleus et roses électriques

La vieille pierre, la vigne, la solitude, la marche.

La marche.

L'équilibre bourré sur le trottoir avec l'envie de tomber sur la route.

Ou plutôt, l'équilibre bourré sur le trottoir, en se fichant avec une désinvolture épuisée de tomber sur la route, presque en le souhaitant, même.

Les lumières des phares qui forment, les nuitspluvieuses, sur la route comme un miroir, des flaques irréelles de lumières.