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Assis sur l'appui de fenêtre, un pied se balançant dans le vide, j'observe le ciel. La pluie ne nous a que très peu quitté ces jours ci, les nuages non plus. Enfin, après quatre jours de ce temps morose qui ne transmet aucune bonne humeur à l'appartement, un rayon de soleil pointe le bout de son nez, et il fait moins froid.

J'aime la pluie occasionnelle, quand elle arrive pour laisser ensuite place à un rayon de soleil qui saura réchauffer les cœurs détrempé .

Damien ne dit plus rien lorsqu'il me voit dans cette position dangereuse, pourtant, quand il est là, il se met dans le canapé du salon, et il me jette des regards régulièrement. Il a beau me surveiller comme un parent inquiet le ferait, je ne trouve pas ça dérangeant, au contraire ; certains ne se contentent même pas d'un câlin pour combler un vide affectif... moi avec le bleu, je suis déjà heureux d'obtenir un regard.

Pourquoi pas ?

Un regard c'est une attention qu'on porte à l'autre. Une attention silencieuse qui mérite qu'on y mette des mots pourtant.

Comme j'aime le penser, un regard bienveillant vaut mille étreintes hypocrites.

Malgré le retour du beau temps qui me fait savoir que je vais bientôt sortir de mon état morose, je suis soucieux. Damien me regarde tellement souvent, il ne prend pas énormément de temps avant de comprendre. Il finit par poser son livre sur ses genoux. Il m'a dit que c'était un livre policier, et je l'ai écouté en parler longtemps. Il m'a expliqué que c'était la troisième fois qu'il le lisait, pourtant il n'a pas l'air d'en être lassé. Il m'a aussi promis de me le passer un jour. Je détache mon regard du bouquin pour regarder mon compagnon. Il me scrute avec attention, la tête penchée. Comme au premier jour, c'est un mouvement si léger, si imperceptible. Je trouve toujours ça aussi charmant.

-Comment tu te sens ?

Il me pose la question tous les jours depuis une semaine. En général c'est le matin, quand il prend son café. Il me regarde droit dans les yeux et me demande ça, profondément inquiet et soucieux d'avoir une vraie réponse. Autrement dit, il ne se contente pas d'un simple "Oui, et toi ?" Chose qu'il partage avec Jordan apparemment.

-Tout à l'heure, je regardais des choses sur Internet. Et je suis tombé sur un truc que j'avais oublié. C'est pas nouveau je sais mais...

-C'était quoi ?

-Une video traitant les sujets autour de la dépression. Je sais même pas comment je suis tombé dessus. Enfin, c'était assez sombre, mais ça m'a pas semblé être des bêtises.

-T'en a pensé quoi ?

-Ca m'a perturbé d'une certaine façon. Je sais que j'ai pensé au suicide y'a pas si longtemps mais... je me dis que c'est violent comme acte. Ça comme le fait de se blesser. C'est violent envers soit même.

L'expression de son visage change, une émotion que j'ai de la peine à reconnaître traverse ses yeux bleus. Moi qui m'était amélioré par rapport aux sentiments, je recommence à avoir du mal. De plus, ce dont je m'étais souvenu la semaine dernière redevient flou dans ma tête, j'ai l'impression de revenir à mon point de départ, comme lorsque je souriais à Damien en lui avouant que je ne me souvenais pas de grand chose. Mes souvenirs sont entretenus par des visites régulières à Jordan, qui me force à en parler. Je sens qu'il essaye d'obtenir quelque chose de précis. Plus nos discussions s'allonge, plus je comprends que ses questions sont destinées à me faire dire son nom complet par inadvertance. Mais il ne sort pas. Je ne crois pas avoir envie de m'en souvenir, et j'ai du mal à comprendre pourquoi il veut savoir de qui il s'agit.

-Comment ça, demande finalement le bleu.

Je tourne la tête pour regarder dehors, profitant du vent encore assez frais par rapport à la saison.

-Il me semble que notre instinct de survie est censé nous accompagner jusqu'au bout, c'est grâce à lui qu'on vit, non ? Quel genre de mal peut-être assez fort pour détruire ça chez quelqu'un ?

Je regarde en bas, je regarde la hauteur et je soupire avec cette impression très discrète que je le fais beaucoup trop.

Ma hauteur ne change jamais rien, je sais que je pourrai me trouver tout en haut d'un building, je ne me sentirai pas plus grand. Je suis toujours aussi petit, et je frissonne à chaque fois que je vois à quel point le monde est loin autour de moi. C'est vrai quoi, je n'aurai jamais assez de temps en toute une vie pour aller partout. Surtout si je ne quitte jamais Tours.

Mais je suis égaré, donc je ne m'égare plus depuis longtemps. Je divague encore et encore, rêvant du monde que je ne vois pas encore, valsant d'un sujet à un autre. Je réfléchis à partir, sans pour autant m'imaginer laisser Damien tout seul dans l'appartement.

D'ailleurs, comme pour me rappeler que je ne partirai jamais sans lui, il s'installe face a moi sur l'appui de fenêtre. Une jambe dans le vide, l'autre au sol. Une moitié en sécurité, l'autre dans l'incertain, dans la possibilité de danger, dans les centaines de probabilités qu'on n'imaginera jamais.

Je le regarde droit dans les yeux. Je ne l'aurais jamais fais il y a un peu plus d'une semaine. Il n'aurait pas osé non plus.

Mais bon, puisqu'on a rien à perdre, pourquoi pas perdre tout le deux ?

Pourquoi réfléchir, se priver ? Pourquoi chercher un sens à une vie qu'on s'empêche finalement de vivre ?

Pourquoi devrais-je seulement chercher à donner une logique et un sens à mes phrases si mes gestes suffisent ?

Je suis mitigé, car incapable de penser que les gestes valent plus que des mots, et inversement. Je pense qui est bon de d'écrire une pensée, autant qu'il est bon de l'imager par nous agissements.

Peut-être qu'un «je t'aime» n'a pas assez de profondeur. C'est juste un ensemble de lettres comme un autre au final, mais un regard en plus suffit.

Damien ne m'a jamais dit qu'il m'aimait. Et je n'en ai pas fais plus.

Mais les temps changent.

Mieux,

Le temps change tout le monde.

-Je t'aime Thomas.

Mon coeur fait un bond, j'ai une impression douce de nouveau. Personne ne m'a prononcé ces mots si tendre, pas même le souvenir de ma mère.

Deux jambes, une pour la sécurité que m'offre Damien, l'autre pour la probabilité, pour le rêve. Je ne saurai me passer de l'une.

Et donc, alors qu'il m'embrasse, je sais.

Je n'aurai jamais le temps de visiter chaque parcelle de cette terre, mais mon monde, il est ici et sera partout avec lui.

Je me décide finalement, je trouve un chemin qui me mène quelque part.

Une jambe pour ce «je t'aime», l'autre pour la vie ailleurs. Je choisis de ne pas choisir et passe une deuxième jambe à l'intérieur. Après tout, que peut bien valoir le paradis sur terre si mon monde n'y est pas ?

Je n'ai rien a perdre.

Et Damien ?

Lui, tout comme moi, a tout à gagner.

Alors si nous n'avons rien à perdre, autant perdre ensemble.

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Ça faisait longtemps pour cette histoire. Je sais, l'esprit de Thomas est un beau foutoir, et ce chapitre en témoigne, mais aucune autre version de ce chapitre ne pourrait me satisfaire.

«C'est peut-être un peu compliqué à expliquer, qu'on ai pu se plaire. Y'avait tout pour lier nos vies et rien pour faire en sorte que quelque chose arrive. Mais je me plais à croire qu'un être fictif a écrit ça quelque part.»

Traces d'encreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant