Partie 3: Souvenirs

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Ça va aller, me répété-je au fur et à mesure de mon ascension. Annie est une fille comme les autres, au fond. Elle a juste quelques petites difficultés à communiquer. Si je m'y prends bien, il n'y aura pas de problèmes. Pas besoin de s'en faire.

Je monte la dernière marche de l'escalier et débouche sur le minuscule palier du deuxième étage. A ce niveau, il n'y a rien d'autre qu'une petite fenêtre et une porte bleue à la peinture fanée. Au dessus de la poignée, un crochet soutient un écriteau sur lequel on peut lire « Chambre d'Annie » en lettres colorées. Sous le texte, un petit personnage blond est dessiné, avatar miniature de l'occupante de la chambre. Allongé sur un lit, la bouche ouverte dans une attitude d'abandon total, il semble dormir d'un profond sommeil.

« C'est plus facile pour Annie de reconnaitre des images plutôt que des mots, m'avait expliqué Petra lors de ma toute première visite de la maison. Du coup, toutes les salles de la maison sont décorées d'un petit dessin qui indique leur utilité. Tu vois, sur la porte de la salle de bains, il y a une baignoire et une brosse à dents. C'est comme ça partout. Il y en aura aussi un sur la porte de ta chambre, lorsque j'aurai fini de le dessiner.

-Qu'est ce que tu vas dessiner ? avais-je demandé, curieux de savoir quel genre d'utilité je pourrais bien représenter.

-Ah, ça... C'est une surprise! m'avait-elle lancé d'un ton malicieux. »

Je n'ai pas insisté, même si la question m'intrigue au plus haut point. Qu'est ce que je représente pour cette maison ? L'accomplissement du rêve de Mme Ral ? Un compagnon de jeu pour Annie ? Ou juste un chien errant recueilli par bonté ?

Je suis distrait par une pression au niveau de ma cuisse. Baissant les yeux, je me rends compte que mon poing s'est crispé sur mon jean, à un tel point que mes phalanges sont maintenant d'un blanc laiteux. Prenant une grande inspiration, je secoue la main pour dissiper la sensation désagréable qui s'attarde dans mes doigts et redirige mon attention sur la porte bleue. Le cœur battant légèrement plus vite qu'à l'ordinaire, je fais face à la cloison qui me sépare de l'autre pensionnaire des Ral, hésitant sur la marche à suivre. Je ne suis jamais rentré dans la chambre d'Annie auparavant. La seule fois où je suis monté jusqu'au deuxième étage, c'était lors de mon premier jour dans cette maison, alors que Petra me faisait visiter. Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend derrière cette porte bleue, ni de la réaction que mon arrivée va provoquer. Vais-je à nouveau déclencher une crise ? Ou, au contraire, me faire totalement ignorer ? Et comment vais-je m'y prendre pour communiquer efficacement avec Annie ? Ne vais-je pas créer des problèmes à M.Ral en tentant de m'en sortir tout seul ? Peut être vaudrait-il mieux redescendre et l'avertir, tout compte fait...

« Avance. »

Je sursaute violemment, comme électrocuté. Je connais cette voix. Fébrile, je me retourne et balaie le palier d'un regard avide, mais il n'y a personne. Je me fige, en attente de quelque chose que je ne définis pas bien moi-même, une apparition ou un miracle, ou peut être tout simplement réentendre une nouvelle fois cette voix qui me rappelle tant de souvenirs... Mais rien ne se passe. Je suis tout seul devant une porte fermée.

Évidemment, Eren. Elle ne reviendra pas. Elle ne reviendra jamais.

Je sens une boule se former dans ma gorge alors que je ferme les yeux, essayant de juguler la vague d'émotions qui me submerge. Les souvenirs ne s'en vont pas si facilement... C'est alors que je me rends compte du silence qui règne sur le minuscule palier. Derrière la porte, le bruit qui m'avait poussé à monter jusqu'ici s'est tu. Mais cela s'étend au-delà; pas un son ne s'échappe de la chambre, et un calme surnaturel s'est emparé du deuxième étage.

Je suis saisi d'un frisson. Ce silence me met les nerfs à vif, encore plus après la voix surgie de nulle part. L'ambiance me parait soudain extrêmement pesante, et respirer calmement devient difficile. Le personnage endormi semble me regarder à travers ses paupières fermées.

Où que tu ailles, je serais làWhere stories live. Discover now