Oh mad'moizelle

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Je passai les jours suivants dans de curieuses songeries, et bilans sur moi-même qui semblaient ne jamais devoir prendre fin.

Je ne peux pas dire que je savais exactement ce que je voulais, alors, mais j'y pensais, en tout cas. Je rêvais, d'une certaine manière. Et il y avait une volonté de rendre ces pensées réalisables. Je me remémorais ce qu'il s'était produit avec ce premier homme. Je songeais à ce qui était possible.

Plus jeune, et ça pourrait paraître idiot de dire ça à 28 ans seulement mais je sentais pourtant déjà la différence, je me faisais siffler, draguer, interpeller quotidiennement. Je me souviens très bien du sentiment que j'éprouvais à ce sujet : ça me saoulait profondément. Maintenant que ça ne m'arrivait plus – à croire que l'enlisement de mon existence avait fini par tuer même mes possibilités d'attrait –, ça me manquait. Un peu. Logique, dans toute sa splendeur. Ça faisait partie de ce qui me donnait le sentiment d'avoir perdu des morceaux de moi-même, je crois : j'observais les jeunes filles qui se faisaient héler en me demandant ce qui avait pu plaire en moi, ce que j'avais possédé, et n'avais plus, depuis. Cette part de moi qui semblait s'être enfuie. Sauf peut-être pour les hommes pour qui la « jeunesse » se réduisait désormais aux filles comme celle que j'étais, bien que ceux-ci ne m'auraient pas sifflée, bien sûr. Peut-être que ceux-là décelaient ce que je ne voyais plus.

Et puis il y eut ce jour, peu après ce premier homme, où je passais devant une série d'arrêts de bus : un mec m'interpela, au milieu de sa bande de potes, avec un « oh madame ». Ce terme me gêna, autant parce que je n'y étais pas habituée que parce qu'il témoignait d'une distance entre eux et moi qui, d'une certaine façon, me heurtait. Comme si j'étais déjà... autre, je ne sais pas. Quelqu'un qui n'était plus de leur monde, en tout cas. Je le vis s'approcher au petit pas de course pour me parler. Il faisait le malin devant ses copains et, en même temps, sa gêne était manifeste.

— Madame, euh...

Il se retourna vers ses amis comme pour chercher leur encouragement. Tous observaient notre échange.

Je m'étais arrêtée pour l'écouter.

Il reprit :

— Euh, vous... Vous savez, vous, si un hymen ça peut se recoudre ?

Ses copains rirent.

Je l'observai. Il devait avoir entre 17 et 20 ans, grand max, et avait du mal à ne pas trop gigoter sur place. Il n'assumait pas tant que ça sa question, c'était sûr. Il n'assumait pas plus le fait de m'arrêter pour me la poser, mais il faisait comme si.

Je ne sus pas trop que répondre. Je dis toutefois :

— Probablement.

Certainement que la chirurgie permettait ça. Je n'en doutais pas.

— C'est pour sa copine ! cria l'un de ses potes, avant que des rires fusent de nouveau.

J'examinai encore le garçon. Ce coup-ci, il avait clairement rougi. D'une certaine façon, ça me toucha et me donna envie de l'aider, bien que je ne sache pas trop comment m'y prendre.

J'hésitai un instant.

— Sinon...

Je cherchai mes mots. Une façon de le dire qui ne serait pas trop raide.

— Il existe toujours des voies pour la pénétration qui évitent ce genre de conséquence, lâchais-je enfin.

Je le vis rougir, sans surprise, mais bon... Un « oh, la dame, c'est une cochonne, en fait » fusa du côté de ses potes, sans que je sache lequel l'avait lâché. Je n'y prêtai guère attention, de toute façon.

J'aspirais déjà à sortir de ce jeu dans lequel je n'avais pas demandé à entrer, et qui m'embarrassait. Après un léger sourire, politesse basique, je poursuivis donc mon chemin.

Tandis que je déambulais, je ne pus m'empêcher de songer à cette transition entre « la fille que l'on drague à « la femme à qui on s'adresse parce qu'elle passe à ce moment-là et qu'on veut crâner devant ses copains » que je venais de me prendre en pleine figure. J'avais souri mais, dans le fond, j'avais été blessée et, lorsque je passais devant l'une de ces glaces qui ponctuent parfois les murs des rues commerciales, je m'arrêtais pour regarder mon reflet. Il ne m'offrit qu'une image perturbante. Quelqu'un de triste... Plus que ça : quelqu'un qui avait déjà son passé derrière elle. Ce fut ainsi que je me vis, en tout cas. Ça me fit un choc. Les raisons pour lesquelles j'étais sortie ce jour-là se noyèrent dans un flou qui m'immergea toute entière.

Je les ai oubliées, d'ailleurs. Ce devait être insignifiant.

Je fis demi-tour.

En repassant devant les arrêts de bus, je remarquais la bande de jeunes, toujours au même coin. L'un d'eux me vit et fit un signe à ses copains pour me désigner. Celui avec qui j'avais parlé m'adressa un sourire chaleureux et un salut, auquel je répondis avec un quelque chose d'agréable dans la poitrine : au moins, cet instant-ci avait été appréciable.

Puis, alors que je continuais d'avancer, l'un d'eux me rattrapa. Il était timide et on aurait dit qu'il avait pris sur lui avec force pour faire ce pas, et ses copains le hélaient en riant. Ce n'était pas celui qui m'avait abordée, la première fois.

– Vous... Madame, euh... mad'moizelle, vous...

– Oui ?

Je m'arrêtai.

– Vous êtes charmante, vous savez.

Je fus véritablement perturbée.

– On peut..., reprit-il. On peut boire un verre, si vous voulez.

Je l'observai plus attentivement.

Il avait dans les 20-22 ans, grand, avec un style street et un visage anguleux dont l'expression était moins hésitante que ses amis. Il avait des airs de sale gosse, en fait. De sale gosse présentant une image séductrice mais que je sentais terriblement de surface.

Je me demandai ce qu'il voyait en moi : ce que mon attitude avait pu lui donner comme image lors de l'échange précédent, ou peut-être juste le fait que je me sois interrompue, là, pour lui répondre. Les films qu'il pouvait se faire dans sa tête.

Est-ce que j'avais l'air disponible ?

Je me demandais.

Est-ce que j'avais l'air baisable ?

Je me mis à hésiter vivement entre le remballer et voir où accepter me mènerait.

Je dus rester un certain nombre de secondes silencieuse.

Probablement dut-il voir qu'une ouverture était possible, puisqu'il insista :

— Il y a un bar sympa juste à côté.

Ma voix ne sortit toujours pas. Il dit encore :

— Juste un verre. Ça n'engage à rien.

Alors, perdue et, au fond de moi, curieuse aussi, puisqu'il s'agissait de l'état dans lequel j'étais, je répondis :

– OK.

Ainsi sombre la chairWhere stories live. Discover now