35. Le destin se mord la queue

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-           Laisse tomber tes mondanités, grogna la forgeronne en plongeant le fruit de son travail dans une bassine de refroidissement. Elles me font perdre mon temps, car nous savons toutes deux que tu n'es pas ici que pour une visite de courtoisie.

Quoiqu'ayant remarqué le manque absolu de politesse de l'elfe envers sa reine, le garçon était autrement plus intéressé par l'atelier de celle-ci. Il hésitait malgré tout à analyser leur discussion, ayant crucialement besoin d'informations sur la culture et le mode de vie et d'interaction des elfes.

« Je te ferai un rapport plus tard, fit Obhron, très sérieux. Tu peux y aller. »

Il ne se le fit pas dire deux fois. Dirigeant une bouffée de reconnaissance envers son compagnon, il se laissa guider par sa curiosité à travers les établis, les enclumes et les fonderies, écoutant d'une oreille distraite l'échange atypique qu'avaient la reine et la forgeronne.

-          Je sais que vous êtes très occupée, Rhünon-elda, mais j'ai cru que vous aimeriez avoir des nouvelles.

La femme elfe posa un regard étonné sur sa reine, avant de réaliser la présence de Naegling dans les mains de cette dernière. Elle se figea alors, avant de s'approcher lentement, comme par crainte d'effrayer un animal, et de tendre une main tremblante en direction de la lame.

-          C'est bien elle ? C'est bien Naegling ? demanda-t-elle d'une voix aussi chevrotante que sa main tremblait.

-          Oui, c'est bien elle, fit Arya d'une voix douce, avant de lui tendre l'arme.

La forgeronne s'empara du fourreau de l'épée de façon douce et attentionnée, avant de la dégainer pour en admirer la lame.

-          Luisante, comme au premier jour, soupira-t-elle en admirant Naegling.

-          Nous avons eu beaucoup de chance, fit la reine. Ce garçon l'a trouvée entre les racines d'un chêne démesurément grand pour son âge, et l'a extirpé de l'écrin de terre où elle a reposé pendant près de deux siècles.

Il laissa le reste de l'explication se perdre dans les méandres de ses pensées, alors qu'il reportait son attention sur les instruments de forge. Le travail de l'elfe était d'une précision chirurgicale, les détails de chaque ciselure dans le métal d'une finesse exquise. À la quantité d'outils de qualité supérieure qui l'entourait, il pouvait reconnaître avec aisance le niveau de l'elfe dans l'art de la forge, aussi bien que les siècles – peut-être même les millénaires – de pratique et d'expérience qu'elle traînait avec elle. Curieux, il tendit la main et s'empara d'un martel. L'outil, quoi que mal adapté à lui car forgé pour des mains plus fines, était d'une légèreté et d'une solidité impressionnantes. Très sobre dans son aspect, il demeurait l'outil de la meilleure qualité qu'il ait vu depuis son réveil des souterrains de Gil'ead, peut-être même de toute sa vie.

Il reposa le martel sur l'établi où il l'avait trouvé, avant de diriger son regard vers le travail en cours. La hampe, qu'il avait déjà remarquée et que l'elfe travaillait encore quand ils étaient arrivés, avait été finement ciselée de détails aussi esthétiques que pragmatiques. Le tout restait d'une grande beauté, tout en étant d'une simplicité admirable. En effet, contrairement à beaucoup de forgerons qui aimaient à ajouter des fioritures purement esthétiques, au détriment même parfois de la bonne utilisation de l'arme, celle-ci avait clairement été conçue en priorisant l'efficacité qu'aurait la lance une fois son fer forgé et intégré. Il testa la hampe en procédant à quelques mouvements amples et d'autres courts et rapides. Comme il s'y attendait, elle était légèrement déséquilibrée, mais beaucoup moins qu'elle n'aurait pu l'être : malgré l'absence du fer, la lance promettait déjà d'être une arme d'une rare précision et légère comme une plume.

Du Súndavar Shur'tugalar (Dragonniers de l'Ombre)Where stories live. Discover now