Du Súndavar Shur'tugalar (Dragonniers de l'Ombre)

42. En quête de postérité

Quand ils eurent pris place, Tristan s'étant préalablement assuré que le coin était assez désert pour qu'ils n'importunent personne, il débuta son récit :

- Ça s'est passé il y a environ trois mille ans, d'après ce que j'ai cru comprendre. J'étais – et je suis toujours, d'ailleurs, d'une certaine façon – très jeune à l'époque, je n'avais que dix-neuf ans. Ce que je n'hésiterais pas à qualifier de guerre la plus terrible de l'histoire venait de se terminer.

- La Grande Guerre Céleste, tu as dit, je crois, fit Ellanda.

- Tout à fait. Cette guerre a opposé, dans un phénomène similaire à ce qui se produit aujourd'hui, un Du Súndavar Cöhen à l'alliance de tous les peuples d'Alagaësia, à savoir à l'époque les elfes, les Urgals, les nains, quelques humains et les dragons.

- Les Dragonniers s'impliqueraient certainement dans ce genre de conflit, mentionna la jeune elfe. Pourquoi n'en ai-je jamais entendu parler ?

- Ils l'auraient fait, répliqua Tristan, s'ils avaient existé. Ces événements se sont déroulés peu avant le Du Fyrn Skulblaka, donc avant le pacte entre les elfes et les dragons.

Un éclair d'incrédulité traversa les prunelles de la jeune elfe, qui s'exclama :

- Il n'est mentionné nulle part que les alfakyn aient participé à une guerre d'une telle envergure – ou même à une guerre, tout simplement – avant le Du Fyrn Skulblaka !

Un faible sourire se dessina sur les lèvres du garçon.

- Tu as raison. Ce n'est mentionné nulle part. À tort ou à raison, je ne saurais dire, il a été décidé que la Grande Guerre Céleste serait effacée de la mémoire de ses participants.

- Cette expérience nous aurait pourtant été bien pratique aujourd'hui, fit la jeune elfe, amère.

- En effet. Le raisonnement des autorités concernées était que la puissance d'un clan des Ombres devait être gardée secrète, faute de quoi des individus mal intentionnés pouvaient tenter de faire appel à ce pouvoir en formant leur propre clan. C'est pourquoi je ne sais plus trop qu'en penser : d'un côté, cela paraît aujourd'hui une erreur qui a causé beaucoup de retards dans la guerre contre Zílthrim, mais de l'autre, la logique tient toujours...

Il secoua légèrement la tête, tandis qu'Ellanda gardait le silence, rendue muette par le dilemme du jeune homme. Celui-ci reprit, les traits toujours sombres.

- Toujours est-il que la guerre était terminée. Tous les miens étaient tombés au combat, donnant leur vie pour mettre fin au règne de terreur des Ombres. Dernier survivant, j'ai longuement erré sur le champ de la dernière bataille, avant de trouver un Ombre agonisant, le dernier lui aussi de son clan. Alors que je l'approchais, il a commencé à ricaner en crachotant ce vilain sang d'encre qui était le sien, pour me narguer. Je lui ai offert d'abréger ses souffrances s'il me confiait ce qui le rendait ainsi euphorique. Sa réponse allait me laisser à la fois perplexe et désespéré, d'une façon que je n'avais jamais et n'ai jamais plus expérimentée depuis.

- Qu'était-ce ?

Tristan s'assombrit encore davantage, avant de répondre lentement :

- Il m'a dit : nous avons peut-être perdu la bataille, mais la guerre est gagnée. Les Gardiens ont tous péri, il ne reste que toi, un gamin : ils s'éteindront avec toi, et dans cent ans, mille ans, dix mille ans peut-être, nous reviendrons, et nul ne saura se mettre en travers de notre route.

Il laissa échapper un soupir, se remémorant la détresse qu'il avait ressenti alors. Ces souvenirs, récupérés peu de temps auparavant, ne dataient pas, de sa perspective, de si longtemps auparavant que cela : il n'avait pas la sensation qu'il se soit écoulé plus d'un an ou deux, les milliers d'années le séparant de ces événements ayant passé pendant son sommeil.