L'étoile qui brillait contre les ombres

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Mirador se posa lourdement au sol, près des soldats dépêchés par la reine en mission de repérage dans la zone élargie de Gil'ead. Leur objectif était de prévenir d'éventuels renforts en provenance d'Ilirea ou d'autres villes sous l'emprise des Ombres, en les arrêtant avant qu'ils ne parviennent à Gil'ead. Au besoin, Ellanda pouvait se servir de l'étoile paradoxale du Chancelier pour les écraser, mais la reine l'avait prévenue que ce ne devait être qu'un dernier recours, l'étoile étant l'as caché dans la manche des elfes contre Zílthrim. Aussi, accompagnant l'elfe, quatre des plus puissants jeteurs de sorts elfes se tenaient prêts à intervenir pour la protection de l'infanterie guidée par l'apprentie Dragonnier.

- Avez-vous repéré un ennemi, Ellanda-elda ? s'enquit l'un de ces magiciens.

- Pas la moindre trace, Seira-vodhr, répondit Ellanda, une ombre d'anxiété s'affichant brièvement sur son visage.

Les magiciens, ainsi que la capitaine des armées elfes dont le bataillon avait été envoyé avec eux, s'assombrirent également. Depuis une semaine qu'ils écumaient la région, s'attendant à croiser au moins une troupe mineure qu'il leur faudrait contrer, or il n'en avait rien été. Pas le moindre Ombre, pas le moindre mage, pas le moindre soldat, et plus suspicieux encore, pas le moindre marchand ni le moindre voyageur. Sans ces derniers détails, on aurait pu croire que Zílthrim et son clan des Ombres n'avaient tout simplement pas été informés du siège de Gil'ead, mais l'isolement le plus total dans lequel était plongée cette ville qui servait de relais à la majorité des marchandises allant du sud au nord et inversement montrait qu'ils en étaient très conscients. Et s'ils ne jugeaient pas opportun d'envoyer des renforts, cela n'augurait rien de bon.

Après de longues minutes pendant lesquelles chacun se fit une réflexion semblable, Mirador s'adressa mentalement à eux, suggérant presque nonchalamment :

« Nous devrions retourner au campement. »

Un éclair d'approbation traversa les prunelles de la capitaine elfe, qui partageait cette opinion depuis deux jours déjà, mais Ellanda leva un sourcil. Elle avait été l'opposante la plus farouche à cette idée, ne pouvant croire qu'on laisserait Gil'ead sans troupe de soutien à proximité. Pourtant, force lui était de reconnaître qu'il n'y avait aucun motif de continuer des recherches aussi infructueuses plus avant. Le malaise que lui avait partagé la capitaine elfe deux jours auparavant, et qu'elle avait semé dans l'esprit de la jeune apprentie sous la forme d'une graine de doute, avait commencé au fil du temps par former un germe d'anxiété avant de se déployer sous la forme adulte d'une hideuse fleur de panique. Tâchant de camoufler la frayeur que lui inspiraient la pensée d'avoir failli à son devoir et la possibilité de retrouver le campement en flammes, ses amis et sa famille exterminés jusqu'au dernier, elle annonça d'un calme presque parfait, les traits rendus impassibles par la retenue légendaire des siens :

- Entendu. Je crois que nous pouvons désormais affirmer avec certitude que nul renfort ne se terre dans les parages, attendant d'être appelé au secours de Gil'ead. Je déclare cette mission de repérage achevée. Retour au campement.

***

L'équipe de repérage eut la surprise en arrivant à proximité de la ville d'y découvrir le campement non pas ravagé ou en proie à une horrible offensive, mais levé, les portes de la ville ouvertes, les couleurs du Du Weldenvarden flottant au-dessus des portes. Mirador s'étant posé à proximité, Ellanda adressa la parole à la sentinelle gardant la herse sur le ponton :

- Atra esterní ono thelduin, fricaí.

L'archer elfe répondit en s'inclinant, portant le majeur et l'index à ses lèvres, en complétant la seconde moitié de la salutation rituelle. Puis il enchaîna :

- Bienvenue à vous, Ellanda Bjarlaie. On m'a confié un message pour vous dans l'éventualité de votre retour. Désirez-vous l'entendre ?

Ellanda se raidit aussitôt. Ce surnom de Bjarlaie, littéralement Étoile Brillante, lui avait été donné par sa tante Solopnir, Eldunarí du dragon de son oncle, quand elle avait failli oblitérer la demeure familiale. Seuls étaient censés le connaître, outre Solopnir, Mirador et elle-même, son père, la reine et leurs dragons. Elle n'aurait pas été aussi surprise de l'entendre de la bouche du Seigneur Däthedr, mais pour qu'un guetteur soit mis dans la confidence, il devait être porteur d'un message très important. La reine avait dû confier ce surnom à son messager, probablement sans en partager le sens profond, pour mettre Ellanda en confiance, et lui faire comprendre le sérieux de la situation.

- Fais entendre ton message, ami. Je t'écoute de l'oreille la plus attentive.

L'archer inclina la tête, avant de commencer à parler. Mais, contrairement à ce qu'avait cru l'apprentie elfe, le message n'était pas énoncé en Ancien Langage, pour éviter qu'il ne tombe dans l'oreille d'un humain rendu rancunier par la prise de la ville. Le messager, hésitant sur quelques mots, articula difficilement quelques phrases dans une langue harmonieuse et fluide, qui rendait l'Ancien Langage, pourtant parfois surnommé « langue poétique » par les elfes, pâle en comparaison en fait de beauté. À sa surprise, la jeune elfe compris ce dont il était question, alors qu'elle n'avait jamais entendu ce langage où que ce soit.

- Nous nous sommes installés à la bibliothèque centrale du quartier supérieur pour établir le conseil de guerre. Rejoins-nous aussi tôt que possible.

La vigie lui adressa ensuite un sourire mal assuré, avant d'enchaîner dans leur langue natale :

- Tu y as compris quelque chose ?

- Assurément, s'étonna Ellanda. Pas vous ?

Le messager se tourna vers l'un de ses camarades, qui gardaient la porte au sol. Ce dernier lui servit un sourire narquois, et l'archer tira une bourse de la poche et la jeta à son compagnon avec un soupir exaspéré.

- Fais-en bon usage, il m'a fallu trois ans pour le chanter, grommela-t-il tandis que l'autre empochait la bourse, l'air satisfait.

- Qu'est-ce que cela ? voulut savoir la jeune elfe, confuse.

- Un pari, répondit la vigie. Nous avions parié sur votre compréhension de ce message. J'avais misé contre.

Ellanda inclina le buste devant lui, incertaine de si cette explication lui avait clarifié la situation ou l'avait au contraire assombrie, avant de remonter sur Mirador. Entrant en communication mentale avec Seira et la capitaine du bataillon, elle leur dit :

« Bien, vous avez entendu. Le moment est venu de rallier ce conseil de guerre à la bibliothèque. »

Le malaise de ses compagnes était trop évident pour qu'elle passe à côté malgré son trouble.

« Qu'y a-t-il ? voulut-elle donc savoir. »

« Je... C'était donc là ce que disait ce message ? répondit finalement Seira. »

La jeune elfe comprit alors qu'elle avait été la seule à pouvoir comprendre le message de l'archer, ce qu'elle n'avait pas envisagé. Il lui avait semblé que si elle avait compris ce langage, d'autres avaient dû en faire autant. Elle leva un sourcil, avant de s'adresser à son dragon :

« Et toi ? Tu as compris ? »

« Oui et non, fit le dragon de bronze. Comme si d'une oreille je le comprenais, mais de l'autre non. »

« Ou comme si tu comprenais à travers moi mais pas par toi-même, soupira sa compagne. »

Le dragon fit sentir son approbation, avant de prendre son envol pendant que les herses s'ouvraient pour laisser passer leurs camarades, qui, se déplaçant à cheval, ne pouvaient survoler les murailles.

Du Súndavar Shur'tugalar (Dragonniers de l'Ombre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant