La Saint-Valentin

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          L'homme s'arrêta, incertain. Il lui était difficile de se repérer dans ce décor. Devant lui, un arc-en-ciel de sous-vêtements féminin et des affiches lui rappelaient sa présence dans ce magasin : « N'oubliez pas la Saint-Valentin ! -15 % sur les... ». Daniel cessa de lire. Il regarda la photo du mannequin l'air ailleurs, en petite tenue et sûrement retouchée. Je peux vous renseigner ? Il vit la vendeuse, une petite bonne femme rondelette le sourire recouvert d'une bonne couche de rouge à lèvres et les paupières lourdes de mascara, il dit que ça ira et de sa voix aiguë elle répondit qu'il n'hésite pas surtout. C'est ce qu'il fit, il n'hésita pas. Daniel attrapa deux ensembles culottes et soutien-gorge, dont les tailles semblaient correspondre à celle de sa femme, un rouge et un noir, et alla à la caisse. La jeune vendeuse le dévisagea en se mordant la lèvre inférieure, le regard coquin. Le nez de la femme retroussé au possible et sa mimique provoquèrent une envie de rire à Daniel néanmoins il refusa de se moquer. Contrairement à son client, la vendeuse semblait sérieuse dans sa démarche, elle caressa la main de Daniel quand il tendit sa carte bancaire. Il eut un rictus. Quand elle la lui rendit, il la saisit du bout des doigts pour être sûr que leurs peaux ne rentrent pas en contact.

— Au revoir monsieur, dit-elle d'une voix plus proche d'une imitation humoristique du téléphone rose que de la sensualité. Et à très bientôt...

— Oui, oui au revoir, fit-il en s'en allant, un fou rire coincé dans sa gorge. Passez le bonjour à Metsys !

          Au regard interloqué de la jeune femme, il savait qu'elle n'avait pas compris. Il s'en foutait, ça le faisait marrer et à peine mit-il le pied hors du magasin qu'il éclata de rire.

          Après avoir retrouvé ses esprits, il acheta une rose chez le fleuriste et jeta le tout sur le siège passager. Il desserra sa cravate et soupira. De la paume de la main il se frappa le front, il réalisa que les cadeaux n'étaient pas emballés, se demanda s'il devait le faire. Il ne voulait pas retourner dans la boutique de vêtements alors il en conclut que le sac en plastique ferait office de papier. C'est l'intention qui compte. L'homme mit le contact, enclencha la première et quitta son stationnement. Merde ! Un coup de klaxon, un pied sur le frein, une voiture qui passa devant. Le conducteur du véhicule vociféra à Daniel que ce n'était qu'un con et qu'il fallait ouvrir les yeux. Daniel pensa avance connard ! mais ne le dit pas à haute voix, puis il attendit que l'homme se retire. Il fallut plusieurs minutes pour sortir complètement du parking. C'était l'heure de pointe, l'heure où tout le monde est pressé de rentrer chez soi, l'heure des embrouilles et des emmerdes. Daniel observa le ciel, il était d'un gris ténébreux presque noir, prêt à lâcher ses litres d'eau pourtant aucune goutte ne tomba.

          Daniel arriva chez lui, cacha le cadeau pour Emma sur la plus haute étagère de l'armoire. C'était elle qui voulait qu'il en soit ainsi. Pas de cadeau avant la fin de la soirée, lui ne faisait qu'obéir à la demande de madame, il attendrait donc qu'elle le lui réclame. Sur le lit il y avait une chemise noire, Daniel la détestait. Il s'y sentait étriqué et à chaque mouvement de bras il craignait de la déchirer.

          Sa femme était dans la salle de bain, Daniel la vit par l'entrebâillement de la porte, sur la pointe des pieds, les yeux grands ouverts, face au miroir. Il regarda sa longue robe rouge et la courbure de ses fesses et de son ventre qui se dessinaient et il se dit qu'elle avait pris un peu de poids ces derniers temps.

— Tu es rentré ? qu'elle dit. Je t'ai sorti ta chemise sur le lit, celle que tu préfères.

          Il déboutonna la chemise qu'il portait et sous le regard d'Emma, il enfila la noire avec le sourire.

Les histoires des gens ordinairesWhere stories live. Discover now