Les histoires des gens ordinaires

Tom le petit prince

          Dans le royaume de la Chambre vivait un jeune prince, Tom. Ses six années de vie lui en avaient déjà appris beaucoup sur les secrets que renfermait la contrée où il habitait. Tom connaissait le danger et savait très bien le reconnaître. Ce jour-là, il était en chemin pour en terminer avec le terrifiant ours en peluche qui vivait sur la montagne de l'armoire. La bête, qui ne possédait plus qu'un œil, voyait tout ce que les habitants de la Chambre faisaient, mais surtout elle passait son temps à les effrayer, s'invitant chez eux en pleine nuit pour enlever les jeunes demoiselles. Ce qu'il en faisait, personne ne le savait. Aucune n'était jamais revenue.

          Tom, vaillant et courageux, avait donc pris le taureau par les cornes, ou plutôt l'ours par les pattes. Armé de son épée et de son oreiller bouclier, il gravit chaque étagère de l'armoire. Une par une. N'écoutant que son cœur et sa bravoure. Même si celui-ci battait à tout à vitesse, il savait que c'était un mal nécessaire au bien-être du royaume et puis ce n'était pas la première fois qu'il affrontait un horrible monstre. Bien avant l'ours, il y avait eu le Minotaure qui se cachait dans le labyrinthe de Lego, Mamiedusa qui, quant à elle, pouvait vous pétrifier à chacun de ses regards tant la sévérité se dégageait de ses yeux et encore bien d'autres.

          Arrivé au sommet de la montagne, l'ours lui fit face. Des flammes apparurent dans son œil, les griffes affûtées, les poils hérissés comme un chien enragé, l'ours n'appréciait décidément pas qu'on pénètre sur son territoire. Tom bomba le torse et sans montrer sa peur, il dégaina son épée. L'ours se précipita sur lui. Le petit prince serra très fort ses mains sur le pommeau de son arme. L'affreuse bête borgne n'était plus qu'à une dizaine de mètres de Tom. Il le savait, il n'avait pas le droit à l'erreur.

— Pour le royaume !! S'écria le petit garçon en brandissant son épée.

          Il se mit à courir à son tour. L'ours leva son énorme patte qui...

— Tom ! dit une voix de femme.

          Le petit garçon, perché sur son armoire, tourna la tête vers la porte de sa chambre. La belle princesse était là elle aussi, ses longs cheveux reposant sur ses épaules. Elle n'était pas la fille du roi des océans pour rien. Ses yeux bleus rappelaient la mer, si profonds, si intenses. Le jeune prince en était amoureux, et ce depuis le premier jour. Aussi loin qu'il s'en souvenait, il l'avait toujours connue. Le destin les avait fait se rencontrer et ce n'était pas pour rien. La princesse, pourtant, avait l'air fâchée.

— Descends de là ! lui dit-elle.

          La princesse, Maman de son prénom, s'approcha du petit garçon. La femme saisit son fils, toujours au sommet de sa montagne et le posa sur le sol. Elle observa la peluche posée sur l'armoire et la pris dans ses mains :

— Qu'as-tu encore fait de son œil ? Je te l'ai recousu il n'y a pas deux jours.

— Mais maman, c'est l'ours borgne ! Il a perdu son œil quand il a attaqué les fermiers. Je devais les défendre !

          La mère soupira, reposa la peluche sur l'armoire et se dirigea vers le lit qui faisait face à l'armoire. Tom comprit qu'il était l'heure pour le petit prince de rejoindre son château et de patienter jusqu'au lendemain pour une nouvelle bataille. Tandis qu'il se glissait sous la couverture, sa mère s'assit à ses côtés :

— Sois sage cette nuit lui dit-elle en l'embrassant sur le front. Ton père est fatigué et n'a pas envie d'être dérangé, je serai là à ton réveil pour t'amener à l'école.

          Le petit garçon ferma les yeux et songea à ses prochaines aventures. L'ours à un œil fera-t-il encore des siennes demain ? Devra-t-il gravir à nouveau la montagne pour l'affronter ? Rien n'était certain. Comme disait souvent sa belle princesse « La nuit porte conseil ». Cette nuit il dormira sans se lever, car les princes ne se levaient pas la nuit. Ils faisaient face à leur peur, mais ne fuyaient pas.

          Le ciel était calme cette nuit, les étoiles brillaient et les nuages détalaient devant elles. La porte de la chambre s'ouvrit, les ténèbres s'y infiltrèrent lentement, sans faire de bruit. Le petit prince fut tiré de son sommeil par un souffle chaud parcourant sa nuque et se rapprochant petit à petit. « Non, je n'ai pas peur. » Se répéta-t-il, « Les princes ne fuient pas. Les princes n'ont pas peur ».

          Cette nuit, en l'absence de sa princesse, Tom le petit prince allait devoir, une fois de plus, affronter l'horrible Dragon : Papa.

La Plume de la Rue - 2017©