1- Mourant...

914 85 100
                                    


L'étranger fronce les sourcils et se penche sur le jeune homme alité.

Le visage émacié du mourant témoigne de la violence de la fièvre qui le terrasse. Une lutte désespérée contre le mal insidieux qui le ronge. Derrière eux, le médecin devine la présence du père du malade, le souverain du Royaume d'Asfrane. Un homme austère, vêtu d'une tunique, très sobre, que ferme un lourd ceinturon de métal. Il a toisé l'étranger avec beaucoup de méfiance, puis s'est effacé pour lui permettre d'ausculter le jeune prince.

À son entrée dans la vaste pièce, l'œil averti du médecin a balayé le décor : la couche de pierre sculptée lui évoque la forme d'un dragon. Les ailes se relèvent pour se rejoindre à la tête du lit. L'ensemble évoque à la perfection les écailles du monstre mythique. Le reste de la chambre allie sobriété et confort. La pièce témoigne du rang de son occupant : d'épais tapis immaculés éclairent les dalles de pierre sombre, usées par des siècles de piétinement. Quelques tentures anciennes, reprises des thèmes chers au folklore local, ornent les murs. Toujours utiles pour couper les courants d'air, fréquents dans la vieille forteresse royale. Des candélabres ouvragés pourvoient à l'éclairage et leur flamme diffuse une lumière dansante.

Près de la couche somptueuse, l'étranger constate la gravité comme l'avancée du mal. Ainsi les rumeurs se vérifient. De tout son cœur, il le regrette. La réputation du jeune héritier n'est pas usurpée : un modèle de courtoisie et de simplicité. Bien peu trouve à le critiquer, même les plus prompts à jeter le discrédit au moindre prétexte. L'adolescent possède l'avantage d'un physique agréable, d'une intelligence plutôt au-dessus de la moyenne avec, de surcroît, un caractère curieux et enjoué qui suscite la sympathie.

Le Prince remplit les devoirs de son rang avec une égale bonne humeur. Bon cavalier, escrimeur de talent, Gaël maîtrise la lecture comme l'écriture. Une connaissance plutôt rare dans cette société où le maniement des armes rencontre toujours l'inclination des jeunes nobles de son âge. Respectueux des fêtes religieuses, l'héritier du trône ne jure pas, ne s'enivre pas, au contraire de beaucoup de jeunes gens, trop pressés d'être considérés comme des adultes accomplis... Un modèle pour certain, une personnalité d'un ennui mortel pour d'autres, un des rares reproches à lui opposer.

Et surtout, à l'inverse de la plupart de ses compatriotes, les usages et les croyances n'entravent pas son profond intérêt pour les sciences. Il préfère adopter une parfaite discrétion sur le sujet, soucieux, du fait de son rang, de ne pas choquer. Un héritier prometteur pour le Royaume d'Asfrane et, surtout, un potentiel réformateur, capable d'aider son peuple à s'évader des ténèbres de la superstition, à se libérer d'une tradition aliénante.

Le médecin chasse ses pensées parasites et se concentre sur son jeune patient. Les narines du jouvenceau pincées, il respire à peine. Des mèches de cheveu adhérent à ses joues creusées et à son front, perlé de sueur. Le reste de sa longue chevelure tressée, gît sur l'oreiller. Les mains décharnées reposent, abandonnées sur les draps. Sa carnation, mate à l'origine, comme celle de son père, affiche une teinte jaunie.

Les lèvres d'une pâleur anormale et les cernes très noirs, de bien mauvais augure, sous les yeux enfoncés dans les orbites... autant de signes annonciateurs d'une issue tragique. En douceur, il soulève une paupière et remarque la pupille à peine réactive, au centre du large iris sombre. L'examen minutieux se poursuit, malgré l'impatience du monarque. Tous les détails comptent et nécessitent un inventaire complet. Après un très long moment, le médecin s'écarte puis se place face au souverain pour déclarer :

— Votre Altesse, j'ignore quel mal frappe cet enfant. Je dois faire des examens supplémentaires.

Il hésite. Ces gens, arriérés, interdisent toute étude du fluide vital... à son grand agacement !

LE PRINCE ENDORMI...Where stories live. Discover now