4 - Visite tardive

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Allongée sur le ventre, Mélise pleure sans bruit, le visage réfugié dans son bras replié.

Son dos la cuit et il lui semble que la marque de chaque coup s'est incrustée dans sa chair. Olna s'est déchaînée avec une brutalité inaccoutumée. L'escapade de la veille a provoqué sa colère. Et puis, la tache rouge sur le poignet de la robe de l'adolescente n'a pas échappée au regard furieux de la gouvernante. Preuve qu'elle n'avait plus à incriminer le ciel pour la vilaine auréole dont s'orne l'une de ses plus belles coiffes de dentelle.

— Pourquoi pleures-tu? s'enquiert la voix amicale devenue familière.

— Je ne pleure pas, nie Mélise avec fierté.

Avec maladresse, la jeune fille essuie, du dos de sa main, les larmes qui noient ses joues, puis relève la tête avec vivacité. La pièce plongée dans le noir, elle ne distingue pas la présence, pourtant toute proche, elle en jurerait. Mais comment Sev a-t-il pu arriver jusqu'ici ? Étrange. Même si cette aile du château, la plus ancienne, pleine de courants d'air, n'attire pas grand monde et qu'il ne risquait pas de croiser quelqu'un, Mélise aurait dû entendre la porte grincer. La nouvelle chambre de l'adolescente, située tout au bout d'un couloir glacial, la nuit, elle entend le vent siffler et les vieilles pierres gémir. Et l'hiver, sans feu dans la cheminée, la jeune fille peine à se réchauffer. Une installation à l'initiative de sa merveilleuse gouvernante...

— Où êtes-vous?

Mélise étouffe un gémissement. Elle a tenté de se redresser sans précaution.

— Tout près, mais tu ne peux pas me voir, indique Sev très vite et qui s'inquiète avec sollicitude, souffres-tu ? Qu'as-tu fait? Tu es tombée d'un arbre en regagnant la terre ferme?

Un léger rire se devine dans le ton.

En d'autres circonstances, Mélise protesterait avec virulence qu'elle est tout à fait capable de monter et descendre du vieux chêne sans s'aplatir comme un chaton maladroit au bas du tronc séculaire. La souffrance bride ses réactions et elle soupire :

— Non. J'ai été punie par ma gouvernante parce que j'ai fait l'école buissonnière hier matin.

— Punie? s'étonne son visiteur incrédule, tu veux dire qu'elle t'a... battue ?

L'indignation qui perce dans la voix de son visiteur étonne Mélise. Par le passé, elle a cru remarquer que le Duc Léo Attika, son père, semblait contrarié que son épouse autorise Olna à recourir aux châtiments corporels. À sa connaissance, il n'est jamais intervenu. A-t-il exigé que l'infâme mégère fasse preuve de modération ? Mystère. Sev, lui, paraît outré. Intimidée par cette colère qu'elle devine toute en retenue, Mélise confirme :

— Oui.

- Mais, c'est inadmissible, s'insurge son ami, hors de lui maintenant, comment peut-on la laisser faire ? En as-tu parlé à tes parents?

L'adolescente se mord les lèvres. Ses parents, une mère qui l'ignore, un père trop occupé à gérer les affaires de l'Etat...

— Ma mère a laissé tout pouvoir à Olna pour s'occuper de moi... Et ce n'est pas à mon père de donner son avis sur mon éducation, même s'il ne m'a pas paru ravi, le jour où il l'a appris... Il doit arriver bientôt, après le Bal du Printemps qui a lieu ce soir. Il sera là dans quelques jours. Je pense qu'elle va en parler et justifier sa méchanceté par les bêtises que j'ai commises...

Suit un silence atterré de Sev, qui la renseigne davantage que toute déclaration. Lorsqu'il s'exprime sur un ton très mesuré, la contrariété perce. Il ne parvient pas à la dissimuler.

LE PRINCE ENDORMI...Where stories live. Discover now