5 - Le Bal du Printemps

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Stupéfait, le Duc Léo Attika, se fige devant les vêtements étalés avec soin sur une chaise de son salon privé.

De proportions modestes, la pièce affiche un confort agréable, mais sans luxe outrancier. Des boiseries recouvrent les murs de pierre et un parquet, le sol ancien. L'ameublement restreint se limite à quelques fauteuils posés devant la cheminée, une table de travail et deux grosses armoires qui renferment les documents importants. De grandes fenêtres aux vitraux ouvragés trahissent la richesse du propriétaire. Des signes ostentatoires jugés indispensables par un aïeul un peu trop féru de prestige.

— Ersine, je peux savoir ce que font là ces... fanfreluches ?

Très perplexe, le Duc de Ludes se penche et étudie la tenue préparée par son plus fidèle servant, à la fois écuyer, personne de confiance, valet, mais surtout son meilleur ami depuis l'enfance.

L'homme ainsi interpellé réprime son hilarité et rétorque, avec tout le sérieux requis :

— Livré sur ordre de la Reine Béryl, Monseigneur. Pour être assorti avec la robe de la Dame, choisie par Son Altesse, et à qui vous devrez tenir compagnie ce soir. Sans doute une princesse étrangère, cependant rien n'a filtré du Palais. La rumeur court, comme toujours.

L'œil mauvais, Léo Attika examine la tunique d'un bleu pâle aux broderies d'argent, ouverte sur les côtés et qui dévoilera les cuissardes de même couleur, au cuir très travaillé. Un ceinturon d'argent ciselé achève le « déguisement » avec, bien sûr, le masque indispensable et qui laissera visible le bas du visage, bouche et menton...

Le Duc soupire, agacé. Comment ne pas céder à l'un des rares caprices de la souveraine. Elle a exigé sa présence au Bal du Printemps, un bal masqué de surcroît, et lui impose ces couleurs de jouvencelle ! Il se renfrogne, puis, revanchard, désigne la livrée dont Ersine sera affublé.

— Regarde ! Toi aussi, tu as droit à... le costume de tout servant admis à se tenir aux côtés de son vénéré maître... Tu seras magnifique !

Son ami cesse de rire et grimace parce que ce jaune jonquille ne l'enthousiasme pas vraiment. La livrée jusqu'alors planquée sous un manteau du Duc, il n'avait plus prêté attention au vêtement. Ravigoté par sa plaisanterie, Léo rit de bon cœur.

— Pas possible, s'afflige Ersine, si Sonk apprend ça, je suis fichu ! Il va m'en rebattre les oreilles à chacune de nos visites.

Leur vieux camarade, maître des écuries ducales, a convolé en justes noces quelques mois auparavant, puis s'est retiré ensuite à Fonbosse, un petit domaine rattaché au Duché, près des montagnes de l'Est.

Léo Attika s'esclaffe :

— Au moins, je ne serai pas sa seule cible et j'en suis très satisfait !

Une fois vêtu, il admet le confort de la tenue malgré son « originalité » et sa teinte. Son unique consolation : au milieu de courtisans bariolés, il passera quasi inaperçu. Enfin, il l'espère. Et avec un peu de chance, la « charmante princesse étrangère » ne « baraguouinera » pas un mot d'Asfranais. Ainsi, l'absence de conversation lui épargnera une soirée pénible. Les papotages des dames de la cour, des visiteuses titrées ou pas... un pur calvaire auquel il ne consent pas.

L'ajustement de la ceinture lui pose quelques soucis et l'aide d'Ersine, bienvenue, permet de positionner l'accessoire. Sur les hanches et non plus serré à la taille, il évoque nombre de représentations anciennes qui attestent de cet usage. L'effet, plutôt seyant, lui convient autant qu'à son écuyer.

LE PRINCE ENDORMI...Where stories live. Discover now