Chapitre 2

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La semaine est déjà finie.
Le collège, c'est déjà plus que du passé.
  Plus j'y pense et plus la petite boule dans ma gorge se resserre. J'aurais aimé passer plus de temps avec Lila, qui est déjà en pleine visite de l'internat de son futur lycée. La petite boule continue à me couper la gorge comme une lame de rasoir. Je ne veux pas finir par me séparer de Lila, et pourtant nous avons beau nous dire que nous garderons un contact grâce à notre complicité peu égalable, nous savons chacune de notre côté que nous allons nous forger une vie loin l'une de l'autre, et nous quitter progressivement
  J'essaye de soulager le poids de la petite boule qui me barre la trachée en me disant que le passé reste derrière moi et qu'il ne faut pas me soucier du futur à venir -bien qu'il soit très proche. Je tente d'éccarter l'idée d'une très prochaine rentrée scolaire sans ma meilleure amie, en songeant à notre tout premier jour de sixième. En fermant les yeux, je sens presque la moiteur de la main de Lila dans la mienne, alors tremblante. Ma vision est floue, je ne parviens à faire la mise au point que sur quelques détails qui restent précis dans ma mémoire. Je sens la petite silhouette de ma meilleure amie tressauter à mes côtés lorsque l'un des professeurs appelle : « SOLEK, Lila ». La petite blonde lâche lentement ma main avant d'aller se placer aux côtés de son professeur principal. Je perçois la scène au ralentit : l'attente de la lettre « W », les noms que crachent tour à tour les professeurs en dehors de leurs bouches pincées, mes yeux qui s'humidifient et mes mains qui se resserrent. Jusqu'au moment où j'entend haut et fort «WOOD, Amanda». J'ouvre alors les yeux et m'avance glorieusement vers ma meilleure amie, dont les yeux gris pétillent d'un air de dire "Tu vois, je te l'avais dit".
  J'ouvre subitement les yeux ; des larmes s'échappent dès ce premier battement de cils. Jeparcoure le ciel des yeux, cherchant du réconfort auprès de ma constellation préférée, Cassiopée.

  Il est neuf heures et demie du soir, le temps s'est rafraichi. La tête perdue dans les étoiles, je reçois un dernier snap de Lila ; je ne peux m'empêcher d'être contente pour ma meilleure amie : ses parents ont finalement accepté qu'elle se rende chez Sam ce soir. Ses sentiments pour lui n'ont jamais vraiment été anodins, et j'aurais vraiment aimé être là pour l'aider à se lancer et à aller lui parler. C'est alors que me prend l'envie soudaine de fuir de cette chambre dans laquelle j'étouffe : j'ai besoin de prendre un peu l'air. J'enfile simplement mon vieux pull gris sur lequel est inscrit « HeartBreaker » avec de grosses lettres brillantes et kitshs.
  Je longe le couloir qui sépare ma chambre de l'entrée, lorsque je surprend mon père avachis dans le canapé. Son visage est calme, détendu, et je ne peux m'empêcher de lui sourire.
  -Tu vas quelque part ?
  -Malheureusement non, lancé-je comme pour faire référence à la soirée à laquelle je n'ai pas le droit de me rendre. Je vais nulle part.
  -Je voix... Je voulais moi aussi aller nulle part. Veux-tu aller nulle part avec ton papounet ?
  Je vérifie l'heure à mon poignet : neuf heures et quarante minutes, il est tard pour sortir en virée père et fille. Je n'ai pas le temps de hocher la tête que mon père a déjà enfilé son manteau et sorti ses clefs de voiture. Je m'avance alors d'un pas pressé vers l'automobile, j'ouvre la portière passagère et la referme dans un silence angoissant. Je regarde mon père démarrer la voiture ; je ne sais pas à quoi m'attendre.
  -On va où ?
  A ma grande surprise, mon père reste silencieux. Ses cheveux frisés en pagaille lui donnent un air penaud et ses grands yeux noirs brillent à la lumière de chaque lampadaires auprès desquels passe la voiture. Le véhicule avance calmement : pas trop vite, pas troplentement. La tranquillité qui nous y berce en devient presque effrayante. J'essaye de définir l'expression sur le visage demon père, en vain : ses sourcils sont froncés comme s'il était en colère, ses yeux sont calmes et vides comme s'il était triste, le bas de son visage est relâché et indescriptible. Je me sens soudain gênée de le dévisager de la sorte, tournant rapidement la têtevers la route.
  C'est alors seulement que je me rend compte que je ne reconnais pas le chemin que mon père emprunte, insouciant. Je n'ose pas rompre le silence qui règne en maître dans cette automobile, et qui me donne la chaire de poule : où m'emmène-t-il ? Mes parents en ont-ils marre de moi au pointde m'abandonner sur le palier d'une église ? Je tourne alors la tête vers la fenêtre, prends une grande respiration, ferme les yeux et essaye de me clamer.

Clair de LuneWhere stories live. Discover now