La nuit était chaude. Il avait fallu plusieurs heures à Pearce pour finalement s'endormir. Et pourtant, il était de nouveau là, les yeux grands ouverts, la tête posée contre son oreiller inconfortable et rendu moite par la sueur.
Quelque chose était différent.
Et ce n'était pas l'absence des ronflements de son frère, qui lui indiquait que lui aussi était réveillé. Ce n'était pas non plus le ronflement de la nature, formé du tempo des cigales, ni le ronflement de la vieille maison où ils avaient élus domicile pour les vacances.
Non, ce n'était pas ça.
Il sentait comme une deuxième pulsation en son sein. Comme si un nouveau coeur avait poussé en lui, à l'intérieur du sien. Il avait la sensation qu'ils se contractaient et se relâchaient à la même allure. En unisson.
L'étrange impression d'être soudain habité par un autre ne le quittait pas. Et l'impression était à la fois désagréable et singulièrement réconfortante.
Pour la première fois depuis quelques temps, son sentiment de solitude avait disparu. Peut-être était-ce parce qu'il était enfin devenu quelqu'un d'autre ?
Le bruit infime des cheveux de Sheehan, contre son propre oreiller à plusieurs mètres de lui, arriva à ses oreilles. Aussi naturellement que s'il avait été la place de son frère lui-même.
- Tu.. balbutia Sheehan.
Sa voix résonna en écho. Elle semblait venir du bout de la chambre, mais de sa bouche aussi, de manière complètement incompréhensible. Comme s'il l'entendait et qu'il s'entendait parler à la fois. Comme s'il était dans la tête de Sheehan.
- Sheehan, c'est.. commenta Pearce.
L'écho résonna à l'inverse.
Son jumeau sursauta et se débarassa brusquement de ses draps, pour se lever.
Immédiatement, Pearce eu la sensation d'avoir tout juste mis les pieds sur le parquet lisse et froid. Il tanguait. Couché, debout. Il avait l'impression d'avoir les intestins retournés. C'est exactement ce que devait aussi ressentir son frère jumeau, puisque dans un bruit sourd il se rattrapa contre le mur, pour ne pas s'écrouler.
Le mur dur, que son épaule venait de heurter.
Pearce grimaça. Comment pouvait-il ressentir avec exactitude la douleur de son frère ou encore la fraîcheur du parquet contre ses propres pieds, depuis son lit ?
- C'est flippant, murmura Pearce.
Hagard, Sheehan secoua la tête.
Sa chevelure noire se souleva sous ses longues mains arquées. Ses yeux, amblygonithes, étaient rivés en miroir sur ceux de Pearce. Ses longues cernes, violacées ne faisaient pas non plus faux bond, sur le visage de son double. C'était une marque de fabrique des jumeaux. Mais c'était sans parler de leur longs nez étroits, et de leurs bouches étirées vers le bas aux commissures.
Ils étaient identiques. Des identiques. Du moins, en apparence.
Car il était clair que Pearce et Sheehan avaient des philosophies de vie bien différentes.
Pearce était un sarcastique, un désabusé. Sa vie, la vie des autres, pour lui, ne faisait sens. L'ombre que projetait Sheehan sur lui, absorbait sa lumière, si bien qu'il n'était désormais même plus certain qu'elle existe encore.
Sheehan était sportif, blagueur, fanfaron. Il préférait l'action à la réflection. Rien en lui n'était fait pour haïr ce monde, dans lequel il était né privilégié. Au même titre que Pearce.
Le destin avait simplement choisi entre eux deux. Qui ferait la première bêtise ? Qui aurait la première fille ? Le plus d'amis ? Les meilleurs notes ? Mais surtout, qui serait le premier à faire la fierté des parents ?
L'époque de l'enfance était révolue. Et ces questions avaient trouvé leurs réponses.
Aussi, la plupart du temps, les jumeaux ne traînait pas ensemble.
Sheehan n'était plus qu'un vieil ami d'enfance, lointain, aux yeux de Pearce. La moindre interaction était devenue gênante, maladroite, comme s'ils ne pouvaient plus simplement se sourire sans se forcer à détourner les yeux.
Et pourtant, à cet instant, aussi bizarre et inespéré que cela pouvait être, Pearce avait l'impression d'avoir brusquement reconnecté avec son frère.
Sheehan rampa lentement vers son lit, dans lequel Pearce s'était redressé. Malgré la pénombre dans laquelle leur chambre était plongée, il discernait avec exactitude chaque muscle du visage de Sheehan, crispé dans l'incompréhension.
D'un même geste nerveux, les jumeaux s'agrippèrent l'un à l'autre.
Pearce ignorait pourquoi il avait soudainement ressenti le besoin de toucher Sheehan. De le sentir contre sa peau, comme s'il pouvait, par ce contact, arrêter sa démangeaison intérieure qu'il n'avait jamais vraiment compris. Mais qu'il ressentait à présent.
Le résultat ne se fit pas attendre, et un kaléidoscope d'émotions parcourut son corps tout entier.
Ils étaient à nouveau réunis.
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Vague ment à mer
Short StoryNouvelles écrites sans lien très éclaircit.. Peut-être y-a-t-il une morale ?