1. Dure réalité.

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Lentement, elle s'avançait vers moi, le sourire au coin. Ses cheveux châtains ondulaient au vent, subissant la fougue de la brise printanière. J'ai longuement attendu ce moment, treize longues années à la contempler silencieusement. Son regard bleuté se figea un instant dans le mien, j'étais tétanisé. Cette journée marquait l'avènement de ma vie sentimentale, Cupidon daignait enfin se mêler de notre histoire. Mon coeur battait la chamade.

Nos paupières se fermaient délicatement, tandis que nos mains se liaient tendrement. La douceur de ses doigts contre ma paume m'envoyait des frissons jusqu'au bas du dos. Sans le doux chant harmonieux des oiseaux, le silence pèserait lourd. J'étais désormais assez proche de son cou pour en humer la fragrance fruitière qui s'en dégageait. Puis, inévitablement, nos lèvres se heurtaient, défoulant vagues et marées qui sommeillaient depuis tant d'années dans le creux de mon estomac. Je pouvais sentir les courbes de son corps à travers sa robe bleue marine, Aphrodite elle-même ne pouvait rivaliser avec cette beauté divine.

Qui aurait cru qu'une étreinte amoureuse pouvait être si douce ? Si passionnée ?

Et pourtant, dans quelques minutes, tout disparaîtra, comme à chaque fois. Il ne me restait plus qu'à profiter de cet instant avant que le réveil ne me ramène sauvagement à notre bonne vieille réalité. Je plongeais une ultime fois mes yeux embués de larmes dans les siens. Son regard étincelant brillait au rythme de son sourire, je donnerais n'importe quoi pour la contempler encore quelques secondes. Mais c'était impossible, j'en étais conscient. Son sublime corps s'effritait lentement, avant d'être emporté par le vent. Je tentais désespérément de la retenir avec mes doigts tremblants, mais tout contact devenait impossible. Impuissant, je ne pouvais qu'observer la brise qui disloquait la dernière parcelle de son délicieux visage. J'étais à nouveau seul, agenouillé sur le sol boueux d'une clairière vide, livré à moi même.

- Ethan ! C'est l'heure de se lever !

Mes paupières s'ouvrirent lentement, accompagnées d'une unique larme qui disparut dans l'encolure de mes lèvres. Les battements de mon coeur ralentissaient à une vitesse normale, tandis que mes muscles se décontractaient rapidement. Mon front en sueur traduisait une nuit mouvementée, le réveil devenait de plus en plus douloureux.

Ma mère déambulait soudainement dans ma chambre pendant que je dissimulais mon visage sous la couverture à carreaux que grand-mère m'avait offerte. Elle disposait d'une énergie massacrante dès le matin, toujours équipée de son éternel sourire et d'une bonne humeur parfois incompréhensible.

- Aller fainéant ! C'est l'heure d'aller en cours !

- J'ai pas envie. Grommelais-je en enfouissant ma tête sous l'oreiller.

Comme tous les matins, elle vint s'accroupir devant moi, puis posa sa main chaude sur mon avant bras. Son regard bienveillant me réchauffa le coeur, je me sentais en sécurité à ses côtés.

- Je sais que ce n'est pas facile pour toi à l'école. Les gens intelligents n'ont pas souvent d'amis. Mais quand tu seras ingénieur, avocat ou même chercheur à la NASA, tu pourras constater que c'est l'intelligence qui a gagné. Ils paieront tôt ou tard leur méchanceté. Focalise-toi sur ton objectif, d'accord ? Tu as un bac à décrocher dans quelques mois, tu n'as pas le droit à l'erreur. Tu n'auras plus de problèmes après, je te le promets.

Je ne pus m'empêcher de sourire légèrement en entendant son discours prometteur, mais elle n'était pas à ma place. Ce n'était pas elle qui en bavait quotidiennement pendant dix heures, ni elle qui se faisait humilier publiquement. Elle n'a jamais été insulté une énième fois parce qu'elle a décrochée une fois de plus la note maximale en maths, en histoire ou même en économie. Mon mental était continuellement mis à rude épreuve, ma vie était un désastre. Je songeais souvent à devenir quelqu'un d'autre. Me mettre dans la peau d'un populaire, beau garçon qui obtenait tout ce qu'il souhaitait avec l'unique force d'un sourire ravageur. Malheureusement, je ne connaîtrais jamais cette sensation de puissance, cette forte estime de soi ou même encore ce sentiment de bien être à chaque levé du soleil. J'étais bel et bien coincé dans le corps d'un surdoué qui s'ennuyait constamment en cours et qui n'avait besoin que d'écouter le professeur pour enregistrer les chapitres étudiés. Maman avait raison, je le savais pertinemment. Dans quelques années, j'aurais un bon poste, un métier qui me plaît et non que j'aurais choisi par dépit, contrairement à la plupart de ma classe. Je devais prendre mon mal en patience, encaisser en silence et tenir le coup.

Extra-Humain {en contrat d'édition}Where stories live. Discover now