2. L'homme sans visage.

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La peinture brunâtre et défraîchie de la salle B105 me rappelait de biens mauvais souvenirs. Le premier étage, là où je m'étais pris une bombe à eau en pleine figure sous le nez des professeurs, là où tout le monde c'était moqué de moi lorsque cet abruti de Mathieu m'avait balayé comme un mal propre, là où.. je pourrais continuer toute la journée. Je pris la première place de la rangée, devant monsieur Keller, notre professeur de mathématiques. En arrivant le premier en cours, je m'épargnais une confrontation avec les populaires, ils n'osaient pas s'en prendre à moi en présence d'une autorité supérieure.

Mon regard voguait entre le tableau et la sacoche bleutée de mon voisin de table. Je sentais mes paupières s'alourdir, jusqu'à les voir passer l'arcade de la porte. Mathieu, en tête de file, bombait le torse en pénétrant dans la salle. Un sourire malsain ensevelissait son visage, je m'efforçais de ne pas le dévisager. Maël le suivait de prêt, grand ténébreux, toujours équipé de ses fidèles lunettes de soleil. Sa petite amie Sophia lui serrait le bras, comme pour marquer son territoire. Jamais de sourire, à croire que sa vie se résumait à faire la tête. Deux autres pimbêches clôturaient le groupe, aussi stupide que leurs décolletés plongeants. Pathétique.

Ils empestaient tous la cigarette, la pire odeur qui existait selon moi. Dès qu'ils m'aperçurent, le grand brun se pencha vers son ami, qui éclata soudainement de rire. Je préférais rester dans l'ignorance, ils me feraient payer tout regard insolent. Lentement, ils prirent la direction de la rangée du fond, moins ils en faisaient, mieux ils se portaient. Les paroles du chauffeur de bus me revenaient, ce genre de personnes ne décolleront jamais du bas de l'échelle sociale.

Puis, le temps s'arrêta autour de moi. Elle fit enfin son apparition. Elle. Amélie. Déesse incontestée qui partageait ma classe depuis plus d'une dizaine d'années. Ici, c'était une reine. Cette beauté faisait l'objet de bon nombre de convoitises, mais jamais aucun n'a pu se vanter d'avoir eu son coeur. Ni son corps, d'ailleurs. Un petit sourire étira ses lèvres lorsqu'elle me vit, c'était la seule qui daignait me saluer le matin. Ses cheveux châtains virevoltaient dans les airs lorsqu'elle passa devant moi, propulsant sa douce fragrance vanillée en pleine figure. Mon cerveau hurlait de redescendre sur terre, qu'elle ne sera jamais mienne, hors de portée. Une chimère inaccessible. Pourtant, comme l'a si bien dit Blaise Pascal, le coeur a ses raisons, que la raison ignore. J'étais sous son emprise, asservis face à sa beauté tant physique que morale. Je me perdais dans son regard océan.

- Ethan t'es avec nous ?

Je m'effrayais en reportant mon attention sur monsieur Keller. La montre au dessus du tableau indiquait déjà le quart, mes songes me faisaient perdre la notion du temps. Comme à chaque fois, je remontais mes lunettes sur mon nez, balayais une mèche derrière mon oreille, puis répondis d'une faible voix :

- Je suis désolé.

- Passons. Alors, quelle est la réponse de cette équation ?

Je zieutais brièvement la ligne de calcul sur le tableau, avant de répondre normalement :

- 7x+2.

Des murmures haineux se firent entendre derrière moi, je baissais la tête vers mon cahier.

La suite de l'heure se passa dans un silence presque macabre. Hormis les idiots du fond, personne ne parlait. La sonnerie, un remix de Justin Bieber, -allez savoir pourquoi- vint nous délivrer de ce calvaire. Dehors, le soleil était couvert par d'épais nuages noirs, qui annonçaient probablement un orage. Les vitres embuées laissaient apercevoir les gouttelettes déferlantes sur le verre glacial. Je fus le dernier à sortir, espérant que le groupe de Mathieu était déjà sorti pour fumer.

Comment ai-je pu en arriver là ? Être complètement tétanisé chaque matin à l'idée de croiser mes harceleurs. Dans mes périodes de folie, j'imaginais souvent le dire aux adultes, mais pour faire quoi ? Les mettre en retenues ? Les expulser temporairement ? Et après ? Je ne donnais pas cher de ma peau.

Extra-Humain {en contrat d'édition}Where stories live. Discover now