4 - L'esclavage a été aboli

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Béa

Yan attrape une chips et tapote mon épaule pour me soutenir.

- Comme je vous l'ai dit, mon père s'est tiré quand j'étais bébé, je commence finalement. Pas longtemps après, ma mère a rencontré mon beau-père. Rapidement, ils ont eu plusieurs enfants ensemble, je suis donc l'ainée d'une fratrie de sept mômes. J'aime mes frères et sœurs mais je n'ai aucune attache réelle avec eux. Parce que justement, je n'étais pas considérée comme l'ainée. J'étais la bonne, soufflé-je en baissant les yeux sur ma bière.

- Comment ça ?, murmure Emy.

- Ma mère a perdu son boulot quand j'avais neuf ans. Mon beau-père restait déjà à la maison pour s'occuper des autres. Mais il ne faisait rien : il traînait simplement sur la canapé en attendant qu'on le serve. Ma mère ne disait rien, elle se laissait marcher dessus et je l'aidais, parce que ça me faisait mal. Sauf qu'à mes onze ans, elle a définitivement baissé les bras. Le plus petit de mes frères avait deux ans, donc on allait tous à l'école. Et quand on rentrait, on retrouvait toujours nos parents sur le canapé, à se goinfrer. Rien n'était fait chez moi alors je m'en occupais... La vaisselle, le ménage, préparer à manger. Je suis rapidement devenue indépendante. Ma mère a trouvé ça génial de me voir bosser alors j'ai commencé à devenir une bonne, je grince en me rappelant de la fois où elle m'a appelé comme ça. Je devais faire toutes les corvées qu'ils me demandaient et si j'en loupais une, ils m'engueulaient devant tout le monde. J'étais humiliée, rabaissée, je n'avais aucune autorité sur mes frères et sœurs. Je n'avais pas ma place dans cette famille. Je ne servais à rien, sauf à faire toutes les tâches ménagères et autres.

- Personne ne réagissait ?, souffle Dylan et je secoue la tête.

- Non, ils en avaient rien à foutre. J'étais juste bonne à ça. 

- Ca a duré combien de temps ?, marmonne Ryan et je relève les yeux vers lui, surpris par le ton de sa voix.

- Jusqu'à ce que j'arrive ici, je réponds et il se crispe. 

- Tu as vécu ça toute ta vie ?, s'écrit alors Ash en écartant les bras. Mais c'est n'importe quoi ! Tu...

- J'ai réussi à partir de là-bas, c'est le principal, je le coupe, peu désireuse de me rappeler de ce que j'ai vécu. Et maintenant, je suis ici et je vais mieux.

- Tu mens.

Je me tourne brusquement vers Yan, comme tout le reste de la table. Je ne m'attendais pas à ce qu'il affirme ça avec autant de convictions. Je papillonne des yeux alors qu'il plonge les siens dans les miens.

- Tu mens parce que dans cette colocation, tu répètes le même schéma. C'est toujours toi qui fait le ménage, qui range, qui prépare à manger, qui nous surveille. Tu fais la même chose et je suis certain qu'au fond, ça te blesse d'à nouveau vivre ça. 

- C'est faux !, je me précipite de répondre alors que mon cœur s'emballe dans ma poitrine.

- Il a raison, affirme soudainement Maé et je vois Emy hocher la tête. C'est toi qui fait tout ce qu'on ne fait pas. Et même quand on s'apprête à le faire, tu nous dis que tu vas le faire. En fait, tu ne penses même plus à te faire plaisir, à prendre soin de toi : tu nous fais passer avant le reste. Tu t'occupes constamment de cette baraque comme si tu étais la femme de ménage.

- Ce n'est pas vrai, je grince tandis que les larmes viennent frôler mes cils.

- Si ! Et il faut que ça change, claque sèchement Ash. Le but que tu sois venue habiter ici, loin de tes parents, c'est que tu te dégages de cette ancienne vie. Donc à partir de maintenant, je refuse que tu fasses quoi que ce soit. Chacun fera sa part, et c'est tout. C'est comme ça que c'est censé se passer. Je suis clair Ryan ?, rajoute-t-il en se tournant vers lui, sourire espiègle en coin.

Jeu de soirée [édité]Where stories live. Discover now