Cassette n°10

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   Mes pieds sont presque enracinés sur le paillasson. J'ai l'impression que cela fait une éternité que je me trouve devant cette porte. Le soleil descend doucement de son zénith tandis que j'hésite toujours à sonner. Non, c'est faux. Je n'hésite pas. Je ne suis tout simplement pas certain d'y arriver, ce qui est profondément différent.

   Lorsque Thomas avait fini de me parler, j'ai laissé les larmes s'écouler. J'ai pleuré pendant un temps et j'ai gardé le silence. Une fois mes yeux secs, je n'ai pas ouvert la bouche une seule fois. Je suis resté seul dans ma chambre, n'appelant personne, ne voulant voir personne, ne pensant à personne. Sauf à Thomas. Et je me suis rendu compte que depuis sa mort, c'était la première fois que je pleurais. C'était nécessaire.

   Maintenant, je me retrouve devant sa maison. Le brun m'a demandé un service et je me dois de l'accomplir. J'ai laissé mon sac chez moi, le walkman et les cassettes à l'intérieur. Sous mon lit, ils ne risquent rien. J'aurais probablement dû les apporter pour plus de sûreté, mais je ne voulais pas que ces objets reviennent dans cette maison. Ce serait bien trop hypocrite de ma part, vis-à-vis de ses parents.

   Bien sûr, je vais devoir leur mentir. Je me concentre sur le fait qu'une partie de lui correspondait à celle que je vais leur raconter, que lorsqu'il se trouvait à mes côtés, il n'y avait aucune raison pour prédire cet avenir. C'est ce qu'il faut que je leur dise.

   Mon indexe atteint la sonnette et le bruit perce presque mes tympans. Je ne m'étais pas attendu à un bruit aussi grinçant. Depuis que je suis sortie de chez moi, je ne prends pas vraiment conscience de ce qui m'entoure, alors ce bruit perçant me tire un peu plus vers la réalité.

   La porte s'ouvre et je découvre alors sa mère. Sa maman, je ne l'ai vue que de rares fois, mais je vois à son expression qu'elle se souvient de moi. Je vois à ses cernes que le sommeil l'a fui, et à la lueur de son regard que la joie a déserté. Elle a maigri depuis la dernière fois. Il ne fallait pas que je m'attende à un autre tableau, mais ça fait toujours un choque quand on constate que la douleur peut transparaître physiquement.

« Newton... Entre, je t'en prie. »

   Elle se décale pour me laisser passer et referme la porte doucement. Ses gestes sont lents, comme si elle en considérait l'importance à chaque instant. Elle me conduit au salon et me permet de m'asseoir sur le canapé. Je m'exécute, je ne veux pas la contrarier. Je suis assis au bord, je joue un peu avec mes doigts. Je n'aime pas ce qui va suivre.

   Elle s'est assise sur le fauteuil, elle aussi au bord. Elle joue avec les manches de son pull et son pantalon de jogging lui recouvre les talons. Ses cheveux sont très courts, recouverts d'un bonnet, et elle arrive à me sourire malgré ses yeux tristes. Je sais qu'elle a mal, qu'elle souffre elle aussi. Ses cheveux noirs doivent lui rappeler ceux de son fils, les yeux de son mari aussi et passer devant sa porte de chambre à chaque fois qu'elle doit traverser l'étage, doit être une terrible épreuve.

   Devant le silence qui s'installe, elle finit par s'excuser. Elle se lève et promet de revenir. J'ai peur qu'elle aille s'enfermer dans la salle de bain pour sécher de nouvelles larmes, j'ai peur que me voir est trop dur à supporter pour elle. Elle finit par revenir, arborant toujours son sourire triste, et se réinstalle. Son mari est venu, elle était partie le chercher. Tandis qu'elle s'enfonce dans le fauteuil en ramenant ses jambes vers elle, le père de Thomas s'assoit lui aussi sur le canapé. Je ne sais pas comment commencer.

« Bonjour Newton, finit par dire son père d'une voix fragile. Nous sommes contents que tu passes venir nous voir. Même si nous ignorons pourquoi... »

   Je sais que je dois parler. Je dois dire quelque chose, commencer par m'excuser, par évoquer doucement Thomas et dire ce qu'il voulait que je fasse. Mais le regard perdu de son père me déstabilise. Il n'a pas le courage de sourire, contrairement à sa femme. Les traits de son visage sont tirés vers le bas, comme s'ils se retrouvaient victimes de la gravité bien plus que nous. Ses épaules basses laissent deviner le poids qu'il doit porter et ses cheveux emmêlés laisse présager que c'est bien trop dur pour lui de se regarder dans le miroir. Lui aussi il souffre. Et c'est affreux de constater à quel point la perte d'un être cher peut être destructrice.

11 Raisons pour laquelle  [Newtmas]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant