Dis donc, des dindons

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Personne ne savait comment la situation avait pu dégénérer à ce point. Enfin, « personne » se résumait surtout à Tochiro et lui, corrigea Harlock in petto. Et encore, lui-même avait une petite idée sur la question.

— Ne t'inquiète pas, Harlock ! J'aurais réglé ça dans une minute ! lui lança Tochiro depuis le centre de la passerelle.

Harlock leva un sourcil dubitatif. Il avait un mauvais pressentiment. Tochiro n'en tint cependant pas compte et poursuivit son manège. Ramassé sur lui-même, le petit ingénieur progressait à pas prudents, prêt à bondir sur sa cible.

Laquelle, imperturbable, se fendit d'un « glouk ».

— Fais gaffe quand même, lâcha Harlock d'un ton vaguement inquiet.

Trop tard. Tochiro se jeta soudain en avant et roula au sol en étreignant sa proie. Cela aurait dû être simple, se dit Harlock. Pourquoi y avait-il tout à coup des jambes, des pattes et des plumes partout ?

— Attention, il m'échappe ! Attrape-le, Harlock !

Le capitaine s'écarta à temps pour éviter qu'un projectile plein de plumes ne le percute, et observa avec une moue désabusée le volatile se réfugier sur le dossier du fauteuil de commandement.

— Glouk, répéta l'oiseau d'un air réprobateur.

Harlock inspira profondément. Bon, le vautour-cigogne moche qu'ils avaient ramassé sur Tokarga, passait encore. Mais ça...

— Tochiro, il y a un dindon sur mon fauteuil, déclara-t-il.

Encore échevelé de sa lutte aussi brève qu'inutile contre son adversaire plumeux, Tochiro le rejoignit tout en réajustant ses lunettes sur son nez.

— Ben tu ne l'as pas attrapé ?
— Je...

Harlock allait répliquer « je pensais que tu réglais ça », mais il aurait tout le loisir de se moquer des compétences de son ami en chasse au dindon plus tard. En attendant, que cette bestiole ne croie pas qu'elle pouvait s'installer impunément dans son fauteuil.

— ... Je m'en occupe.

Le capitaine se rapprocha du fauteuil et foudroya le dindon du regard. Peu impressionné, l'animal répondit « glouk », puis entama un va-et-vient improbable avec son cou. Enfin, il poussa un... On ne pouvait pas qualifier ça de « chant », songea Harlock. Probablement était-ce un cri de victoire mais, à l'oreille, le bruit était plus proche du hurlement de douleur d'un moteur warp en fin de vie.

Harlock hésita un bref instant. La bête possédait un bec pointu et des griffes de belle taille, ce qui était d'autant plus ennuyeux qu'elle avait l'avantage de la hauteur. Alors d'accord, le tout récent capitaine de l'Arcadia n'était pas contre les blessures héroïques, mais se faire défigurer par un dindon manquait tout de même un petit peu de panache. L'animal ayant prouvé sa vigueur de son combat avec Tochiro, il fallait par conséquent le prendre par surprise.

D'un geste vif, Harlock dégrafa sa cape et la jeta sur le dindon pour l'aveugler. Il profita des quelques secondes de confusion qui s'ensuivirent pour emprisonner le volatile dans la cape, transformée pour l'occasion en baluchon à dindon. La bestiole n'aimait pas tellement ça, d'ailleurs, si l'on en jugeait les soubresauts désordonnés du sac improvisé et les « glouks » furieux qui s'en échappaient.

— Ah, super ! se réjouit Tochiro. Maintenant, on s'occupe des autres !

Harlock se retint à temps de faire remarquer que sa cape contiendrait difficilement plus d'un dindon. Il n'avait pas envie d'être promu ramasseur de dindons, un seul gigotait assez comme ça (en plus c'était lourd, cette saloperie), et la phrase qu'il s'apprêtait à prononcer pour le signaler était de toute façon complètement stupide. Après réflexion, le capitaine se contenta donc de tenir son dindon à bout de bras et de suivre Tochiro dans l'ascenseur.

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