5- Un simple ami

207 22 64
                                    


Installée au côté du portrait de son frère, Suzanne regardait de ses prunelles assombries les visiteurs qui, tour à tour, présentaient leurs respects au mort et à sa famille. La cérémonie venait d'officiellement commencer.

Soigneusement entourée de ruban noir, la photographie de Jun était décorée de gouk-hoa. Des roses, des hortensias, des œillets... Toutes ces fleurs se mélangeaient, ne créant plus qu'un mur blanc, et embaumaient la chambre mortuaire d'une douce senteur. Dans la pièce régnait alors une atmosphère pure et divine. En soit, plutôt idéal pour un passage vers l'autre monde.

Un à un, des proches du regretté s'avancèrent près de l'autel pour y déposer de l'encens entre les nombreuses compositions florales qui le tapissaient. D'un certain point de vue, ce rite était beau à voir. La perte de Jun avait été une tragédie pour bien de monde. L'émotion qui se trouvait alors dans la salle mortuaire était des plus solennelles, notamment lorsqu'une personne effectuait un jeol* et laissait échapper une larme sincère.

Agenouillée auprès de ses parents, Suzanne restait silencieuse. L'odeur forte des encens l'écoeurait. Parfois, quand la situation le nécessitait, elle accordait un sourire cordial aux gens qui s'était déplacé pour l'occasion. De toute manière, sa mère n'était jamais très loin pour lui rappeler les règles de bonnes conduites. Face à cette danse macabre, où les invités entraient, les saluaient puis repartaient comme ils étaient venus, c'est à dire avec discrétion et le cœur emplit de lassitude, la sœur du défunt essayait de repérer des personnes familières. Cela en était devenu un jeu, ou plutôt un besoin inconscient de se raccrocher à des éléments qui appartenaient au passé de Jun. Mais la tentative restait infructueuse. Une masse homogène d'inconnus grouillait entre les deux pièces. À ses yeux, il ne s'agissait que de visages sans noms ni identités propres.

Le temps s'écoulait bien trop lentement à son goût. Suzanne releva la tête et fixa d'un regard absent la grande horloge du mur situé face à elle. Avec anxiété, ses doigts parcoururent la soie de son triste habit. Elle devait tenir un peu plus longtemps ! La sœur du défunt ne prêtait toutefois plus attention à rien. Ni aux personnes venues lui adresser ses condoléances, ni à ses proches venues s'enquérir de comment elle allait. La jeune femme ne désirait qu'une seule chose : sortir de cette salle où elle suffoquait.

Mais alors que la jeune femme s'apprêtait à se lever, deux inconnus pénétrèrent dans la chambre mortuaire et la tirèrent de ses songes d'évasion. Elle fut prise de frissons. Plutôt grands, les nouveaux arrivants avançaient en silence vers l'amas blanc. La benjamine interrogea ses parents du regard. Ces derniers lui répondirent d'un hochement d'épaule.

Qui était-ce donc cette fois-ci ?

Postés devant la famille, ils s'inclinèrent plusieurs fois en signe de respect avant de déposer à leur tour un bâton parfumé. Automatiquement, les prunelles de Suzanne s'étaient rivées sur le plus petit des deux hommes. Droit dans son costume sombre, il avait l'allure robuste d'un garçon en bonne santé. Ses cheveux court, d'un noir semblable à la tenue que revêtait l'allégorie de la mort sur les vieilles estampes chinoises, avait été soigneusement relevés pour l'occasion. Ces derniers contrastaient excessivement avec sa peau d'une pâleur sans pareille. Dans sa globalité, le visage du garçon était un mélange manichéen où s'affrontait les rondeurs juvéniles et les traits prononcés d'un homme mûr. Une paire d'épais sourcils encadrait ses yeux ronds et débouchait sur un nez long et aplatit. Semblable à deux barres de métal sombre, ils étaient si droits qu'ils rappelaient l'angle de sa mâchoire définie. Cela lui conférait un regard grave et sévère, songea-t-elle quelque peu intimidée.

Ayant fini le rite, l'homme en question se redressa avant de tourner la tête en direction de son ami. Ses yeux dérivèrent alors vers la personne située derrière lui, et, en l'espace de quelques secondes, leurs regards se rencontrèrent. Woo Young avait paru surpris de la voir assise à cette place. D'une main discrète, il avait tapoté sur l'épaule du blond à ses côtés. Son camarade se retourna et ses iris claires glissèrent le long de la silhouette de Suzanne. Plus que gênée, la jeune avait détourné rapidement la tête, rouge de honte. L'avaient-ils remarqués durant tout ce temps ? Elle n'osait imaginer l'impression qu'elle devait leur avoir laissée.

À nos âmes perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant