Chapitre 5. Gestion de crise.

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Jessie. Oh, Jessie. Jamais aucun homme ne m'avait troublé autant que lui. Ses particularités m'attiraient et m'effrayaient. Le désir s'avérait cependant plus puissant que la crainte. C'était sans doute réciproque. Jessie s'intéressait à moi. Il avait fait des efforts pour contourner ses difficultés de communication. Par l'intermédiaire de chansons. En évoquant l'amour alors que nous nous trouvions dans son mobil-home. L'amour à sa façon. Il voulait faire quelque chose du pronom « nous ». Il avait peur, certes, mais il savait comment mettre un terme à ce qui le submergeait. Il claquait les portes. Clap de fin momentanée. Il n'était pas démuni et j'aimais son attitude. Sacré gars, sacré Jessie.

Ces pensées tourbillonnaient dans ma tête ce lundi matin-là. La sonnette tinta, couvrant brièvement le rock qui tournait en fond sonore dans la boutique. Je relevai la tête et j'écarquillai les yeux. Non, ce n'était pas une vision. De toute façon, l'alcool que je buvais et l'herbe que je fumais occasionnellement pour me détendre ne m'avaient jamais donné de vision. Encore moins en début de semaine, après le café matinal. Il s'agissait bien de Jessie, venu de lui-même au salon de tatouage.

Vêtu de son habituelle veste en jean, d'un t-shirt orange pâle et d'un jean serré, il inspecta les murs puis mes pieds. Mon premier client venait de partir, le suivant n'était prévu qu'une heure plus tard et je lisais un article sur les salons de tatouage de la Côte Ouest. Jessie avait donc bien choisi son moment pour me rendre visite.

— Je suis hypersensible, avança-t-il, la moue plus boudeuse que jamais, les yeux rivés sur ce qu'il y avait derrière moi. Est-ce que ça fait mal ? Ton ami Cat n'a rien dit à ce sujet, les deux filles non plus.

Je compris tout de suite de quoi il parlait, ce qu'il avait décidé après avoir pris le temps d'y réfléchir.

— Pour un hypersensible, oui, ça fait mal, je ne vais pas te mentir, déclarai-je. Salut, au fait.

— Salut. Je déteste les mensonges.

— Moi aussi, en général, affirmai-je. Là où certains ne sentiront qu'une piqûre, d'autres seront stimulés par l'adrénaline, et les derniers dégusteront plus ou moins.

— Je prends le risque, dit posément Jessie, après avoir inspiré profondément. J'ai fait un dessin.

Qui me montrera un peu plus ton monde, songeai-je.

— Montre-moi, le priai-je avec une avidité que je tentai de réprimer.

Jessie sortit une feuille blanche pliée de la poche intérieure de sa veste et il me la tendit. Je me fis violence pour ne pas frôler ses doigts. Ce n'était pas le moment de le faire fuir, de lui faire claquer la porte de ma boutique. En voyant son œuvre, je retins une exclamation, là encore pour ne pas l'effrayer et risquer une réaction que je ne souhaitais pas. Jessie était non seulement un excellent musicien, mais il dessinait aussi très bien. Deux profils a priori masculins se tenaient l'un devant l'autre, tout proches, mais ils ne se touchaient pas, ne serait-ce que du bout des lèvres. Pourtant, je sentais que ces personnes n'attendaient que ça, à cause de la façon dont leurs bouches s'avançaient et quémandaient. Tout autour voltigeaient quelques morceaux de partitions, et des motifs qui auraient fait d'excellents tatouages.

— C'est original, énonçai-je, le cœur battant, charmé par le message. Ça me plaît beaucoup.

— Tu pourrais me le faire sur le bras ? voulut savoir Jessie, et ses yeux gris se firent encore plus profonds.

— Bien sûr. Le motif n'est pas très grand, et il ne fourmille pas de détails. Je peux le réaliser en deux ou trois heures, exposai-je. J'ai un gros créneau demain après-midi, jusqu'à seize heures. Ce n'est pas trop rapide pour toi ?

Je t'aime à ma façon, Roman édité, 5 chapitres disponiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant