Chapitre 16

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Benjamin poussa la porte du bâtiment sur lequel était écrit en grandes lettres rouges : "Bureau d'Accueil et d'Inscription ", Emilie derrière lui, et se retrouva dans une grande pièce, qui semblait être un hall d'accueil.

Les murs de cette entrée étaient peints en bleu électrique, à l'image de l'ambiance de cette ville joyeuse et énergique qu'était paradoxalement le Royaume des Morts.

En face de Benjamin se trouvait un bureau, derrière lequel était assis un homme d'âge mûr, qui pourrait être son père. A gauche et à droite de ce bureau se trouvaient deux portes identiques, menant sûrement à d'autres salles, où à des bureaux.

Le réceptionniste les interpella :

"Bonjour, jeunes gens ! Je vois à vos airs surpris que vous devez être des nouveaux, je me trompe ?

- Non, monsieur, lui répondit Benjamin. Nous sommes effectivement arrivés au Royaume des Morts tout à l'heure.

- Bien, alors, approchez-vous, s'il-vous-plaît. Nous allons devoir remplir quelques papiers ensemble."

La voix de l'homme résonnait étrangement dans cette entrée haute de plafond.

Benjamin se retourna pour encourager Emilie à le suivre, mais vit sur son visage qu'elle était réticente. Il n'avait même pas besoin de lui demander pourquoi, il le lut dans ses yeux.

Emilie avait horriblement peur de se faire démasquer par l'homme, en tant que vivante.

Pour la forcer à le suivre, car laisser Emilie là aurait pu paraître louche, Benjamin dut la prendre par la main, et la tirer gentiment vers lui.

Il fut soulagé quand Emilie consentit à faire les quelques mètres qui les séparaient du bureau avec lui.

"Alors, reprit l'homme, qui n'avait apparemment rien remarqué, vous allez tout d'abord me donner vos noms et prénoms, puis vos dates de naissance et de décès, qui seront inscrites dans le fichier numérique de votre bracelet d'identité."

L'homme déplaça sa chaise devant un poste d'ordinateur. Benjamin connaissait le nom de cette machine, car ses grands-parents, nés au début du XXI ème siècle, lui avaient décrit de bout en bout le fonctionnement et l'apparence de ce qui était à l'époque un petit bijou de technologie, à prix abordable pour la majorité des foyers, mais qui aujourd'hui n'existait quasiment plus, à cause du prix devenu exorbitant de la matière première. 

Le réceptionniste tapa quelques mots sur le clavier de l'ordinateur, avant de laisser ses doigts en suspension au-dessus de celui-ci.

"Je vous écoute, leur dit-il.

- Je suis Benjamin Holmes, commença le jeune homme, je suis né le 17 février 2073, et je suis mort le... euh...

- Vous ne connaissez pas votre date de décès ? lui demanda le réceptionniste, un peu sceptique.

- Si, si, bien sûr, excusez-moi, j'ai eu... un trou de mémoire. Je suis décédé ce matin... donc... le 23 mai 2089.

- Bien, dit l'homme, après avoir rentré les informations dans son ordinateur. Et vous, mademoiselle, vous êtes... ?

- Euh... répondit Benjamin à la place d'Emilie. Désolé, monsieur, mais mon amie est muette."

Emilie remercia Benjamin du regard. Ne pas avoir à parler serait beaucoup moins stressant pour elle.

"Oh, je vois. Ce n'est pas grave, mademoiselle, dit le réceptionniste à Emilie. Vous n'avez qu'à écrire ici les informations."

L'homme tendit à la jeune fille une feuille blanche et un stylo à bille bleu. Elle écrivit son nom complet, sa date de naissance, ainsi que la même date qu'avait donnée Benjamin comme sa date de décès : il était inutile d'en donner une autre, et de compliquer les choses.

Elle rendit ensuite la feuille au réceptionniste, qui ne la remercia même pas.

En effet, l'homme avait déjà lu les informations inscrites sur le bout de papier, et notamment le nom de famille d'Emilie : Lefleuve, et en était resté bouche bée. Ses yeux faisaient des allers-retours entre le visage d'Emilie et la feuille qu'il avait dans les mains.

"Mademoiselle... Emilie... Lefleuve ? bégaya-t-il. Mais... n'avez-vous pas un père décédé il n'y a pas longtemps, jeune fille ?"

Emilie hocha la tête, le regard plein d'interrogations.

"Quoi ? se dit Benjamin, surpris par la nouvelle. Son père est mort, de plus il n'y a pas longtemps, et elle ne me l'a même pas dit ? En même temps, j'aurai pu le deviner moi-même, elle parle toujours de sa mère, jamais de son père. Mais quand-même ! Pourquoi me le cacherait-elle ?"

"Oh... mais... C'est magnifique...Enfin, magnifique... C'est triste, oui, mais bon... dit le réceptionniste, qui semblait réellement heureux. Il faut tout de suite que...

- Tout de suite que quoi ? lui demanda Benjamin. Comment pouvez-vous dire "C'est magnifique !" quand quelqu'un vous annonce qu'il a un proche décédé ? Vous ne pouvez pas présenter vos condoléances, plutôt ? Et puis, comment savez-vous que son père est décédé récemment ?

- Tout simplement parce qu'il est ici, jeune homme. Il est arrivé il y a quelques semaines. Il nous a bien fait comprendre de le prévenir au plus vite si quelconque personne du nom de Lefleuve se présentait ici.

Benjamin regarda Emilie, qui fixait le réceptionniste sans bouger. Elle semblait choquée, et Benjamin comprenait pourquoi. Elle allait revoir son père... mort. Ils allaient se voir, se parler, s'embrasser. Ce n'est quand même pas quelque chose qui nous arrive tous les jours. Benjamin trouvait qu'elle réagissait plutôt calmement malgré la situation, même s'il sentait qu'elle commençait à s'agiter en même temps qu'elle réalisait ce qui allait lui arriver.

Le réceptionniste décrocha le téléphone fixe posé sur son bureau (encore un appareil ancien, dont Benjamin avait entendu parler grâce à ses grands-parents), et avec un grand sourire sur le visage, tapa un numéro à cinq chiffres sur les touches du clavier, avant de porter le combiné à son oreille.

"Allo... allo... Oui, monsieur Lefleuve... c'est Vincent... Oui, merci, je vais bien, et vous ?... Ah, très bien... J'ai une surprise pour vous, une très grande surprise... Non, je ne vous dis pas ce que c'est, cela serait dommage... Oui, venez tout de suite... Non, ne vous inquiétez pas, je vous attends... Oui... A tout de suite."

Le réceptionniste reposa le combiné à sa place.

"Les papiers peuvent attendre. Venez, mademoiselle, dit-il à Emilie, en la poussant dans le dos. Il prit une chaise en plastique (un troisième objet dont on ne voyait presque plus aucune trace sur Terre), et fit signe à Emilie qu'elle pouvait s'asseoir. Emilie obéit. Ensuite, il s'accroupit à sa hauteur.

"Ces retrouvailles vont sûrement être très fortes en émotions, alors je préfère que vous soyez assise" lui expliqua-t-il, avant de lui faire un clin d'œil.

Il tira ensuite une autre chaise vers lui.

"Venez vous asseoir aussi, jeune homme. Vous n'allez pas rester debout ! lui lança-t-il."

Il était vrai que Benjamin commençait à avoir un peu mal au dos et aux jambes. Mais surtout, il était extrêmement fatigué. Les effets du poison s'étaient dissipés, mais les télétransportations successives l'ont épuisé.

Néanmoins, il ne voulait pas s'endormir sur la chaise sur laquelle il venait de s'asseoir. Il voulait assister aux moindres petits détails de ces retrouvailles qui allaient sans doute être inoubliables.

"Ne bougez surtout pas", leur dit gentiment le réceptionniste, dont Benjamin savait maintenant qu'il s'appelait Vincent. Cela paraissait évident aux yeux de Benjamin que ni lui, ni Emilie n'allaient se lever de leur chaise et aller se balader, puisqu'ils ne connaissaient pas les lieux. Mais Benjamin n'allait pas juger l'homme, qui avait sûrement dit cela sous le coup de l'excitation.

"Votre père arrive, Emilie, lui annonça le réceptionniste, je le vois sur la retransmission des caméras de surveillances du bâtiment."


Et si... L'Univers n'était pas infini ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant