Un jour sans toi

Jour 183 - 10 Avril

Moi :

Sam est là ce soir. Pendant que je nettoie le comptoir, il abreuve ma jeune collègue d'anecdotes sur sa vie en Australie. Ses yeux gris la caressent et la bercent, elle est pendue à ses lèvres, une brique de lait toujours serrée dans sa main. Je ne serais pas surpris de l'entendre ronronner, moi-même, je me plais à écouter mon colocataire parler. Sa voix emplie l'espace sans l'envahir, elle est rythmée, douce et n'exige aucune réponse. C'est un bruit de fond très agréable pour qui ne prête pas attention à ce qu'il dit, et une source incroyable d'émerveillement quand on l'écoute. C'est comme s'il avait vécu plusieurs vies malgré son jeune âge, toujours un truc intéressant à raconter.

Moi :

Il passe tous les jours après ses cours, en ce moment. L'air de rien, il commande un brownie aux noix de pécan et un thé vert au jasmin. Il n'y touche jamais et quand je lui fais remarquer, il me lance que je n'ai qu'à les finir à sa place. J'ignore s'il fait semblant de ne pas savoir que je le connais un minimum, ou bien s'il se figure vraiment que je ne sais rien de son allergie aux noix, mais il recommence son manège soir après soir et je rentre dans son jeu sans opposé de résistance. Cet encas, c'est pour moi qu'il le commande. Je n'ose rien dire, j'ai peur de le mettre mal à l'aise, mais ça me touche beaucoup. Je crois qu'il cherche à s'assurer que je mange un peu, parce qu'il sait que je déteste lorsque la nourriture est gâchée. Alors, sans un mot, je prends ce qu'il m'offre et je m'étonne en moi-même de mériter tant d'attention.

Moi :

Je pensais qu'on se connaissait peu, lui et moi, qu'on n'avait pas eu la chance de partager les moments qui auraient pu être les nôtres si j'avais été un colocataire plus présent. J'étais trop occupé avec toi et le groupe, puis je n'ai plus été qu'un fantôme cherchant à éviter le commun des mortels ensuite. Il aurait pu laisser tomber, vivre sa vie de son côté et ne pas l'encombrer de mon chagrin, et pourtant, il veille sur moi comme une maman biche sur son faon. Je ne le mérite pas et, pourtant, il est là... « La chance dans le malheur », c'est comme ça qu'on dit, je crois. Sans savoir comment, j'ai gagné un ami précieux quand je m'imaginais tout perdre.

Moi :

Je devrais être reconnaissant pour ça.

[...]

Moi :

Jimin... Je revois Juhani ce soir. À l'origine, c'est ce que je voulais te dire, mais, sans que je sache pourquoi, je n'ai pas osé.

Moi :

Je ressens encore le besoin de te mettre au courant, de te demander pardon aussi, ça me fatigue.

Moi :

On n'en est plus nulle part toi et moi, et ça ne s'arrangera pas, n'est-ce pas ?

Moi :

Je crois que tu as fait ton choix, c'est la conclusion que j'ai tirée de tout ça.

Moi :

La compagnie t'a mis en garde et tu as choisi de protéger le groupe plutôt que moi.

Voilà.

Point.

[...]

Moi :

Allez, ça va aller. Je suis plus fort que ça et je m'en doutais de toute façon. C'était trop beau pour être vrai. Ou c'est toi qui étais trop beau pour être vrai...

[...]

Moi :

Putain, j'suis comme un con en train de pleurer dans la réserve. J'me cache au milieu des sachets de cafés et des morceaux de sucre, c'est ridicule.

[...]

Moi :

J'suis qu'un gamin, dans le fond. Et j't'aime encore comme un con.

Ça fait mal Jimin... Sors-moi de là, s'il te plaît...

[...]

Moi :

Alors... Toi et moi... C'est fini, non ? C'était cool, mais ce n'est plus possible, c'est ça ?

Je peux donc me perdre dans d'autres bras ?

Tu ne pourras pas m'en vouloir... Tu n'en aurais pas le droit, de toute façon.

Ça me fous en l'air d'être incapable de savoir ce que tu ressens.

Est-ce qu'on a vécu la même histoire au moins ?

[...]

Moi :

183 jours que j'attends, je ne sais même pas quoi.

Un jour sans toi et mon cœur espère que ce sera le dernier.