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- Je vous ai dit quoi ce matin? Je n'ai jamais eu l'intention de me séparer de Guillaume, et c'est pas votre visite qui me fera changer d'avis.

- Mais enfin, Stéphane! Tu as pensé à Illiess? Comment il vit tout ça? Ce que ça lui fait de vivre avec deux hommes?! Tu es trop égoïste pour penser à lui en fait, c'est ça? lance ma mère.

Je me retiens de leur crier dessus, ça ne changerai rien.

- Vous pensez que c'est mieux pour lui que je vive avec une femme pour laquelle je ne ressens rien, pas même de l'attirance? Ou qu'il vive seul avec un père dépressif? Désolé, mais c'est pas ce que je pense. Et pourquoi il vous faut inclure Illiess dans un débat qui ne le concerne pas? Le vrai problème, c'est que vous êtes incapables de concevoir que deux hommes puissent s'aimer. Avant de faire venir Guillaume à la maison, j'ai demandé à Illiess si ça le dérangeait. Nous n'avons jamais imposé sa présence. Encore aujourd'hui, si Illiess me dit qu'il voudrait passer du temps seul avec moi, j'accepterai. Je me soucis toujours autant de son bonheur.

- Mais non, l'homosexualité ne nous pose pas de problème, répond ma mère.

- C'est pour ça que vous soutenez la manif pour tous? Je suis désolé, mais ça, c'est de l'homophobie.

Judith et un autre serveur arrivent avec les entrées, coupant court au débat. Le début de repas se fait en silence, chacun a compris que ça risquait de tourner au drame si on reprenait la discussion. Je vois Judith nous lancer des regards compatissant, elle a dû remarquer que tout ne se passait pas pour le mieux.

Je m'éclipse aux toilettes quelques minutes, et en en sortant je croise quelqu'un que je connais. A son regard insistant, je me rends compte qu'il doit avoir la même impression que moi. Je me rassois et commence à réfléchir. Je suis certain de le connaître. Je me perds totalement dans mes pensées, à la recherche d'un souvenir, d'un nom, qui le mettrait en scène.

- Steph!

Je lève brusquement la tête et voit Guillaume qui m'observe, sourcils froncés. Je secoue la tête, tentant de reprendre pleinement pied avec la réalité.

- Qu'est-ce qu'il se passe? me demande-t-il.

- J'ai croisé quelqu'un, je suis persuadé de le connaître mais je suis incapable de me rappeler d'où je le connais.

- C'est peut-être un client.

- Non, je suis presque sûr que je le connais d'ailleurs.

- Arrêtes de te torturer l'esprit, c'est pas si grave que ça!

- Je sais, mais ça me perturbe. Je crois que c'est quelqu'un que je connaissais bien. Son visage m'est vraiment familier, mais impossible de savoir d'où.

- Du coup le principe c'est que tu vas être perdu jusqu'à te souvenir qui c'est?

- Je crois bien. Désolé, mais ça me perturbe vraiment.

Je vois l'homme passer devant notre table, puis il se retourne vivement en s'apercevant que je suis là. Et je réalise. C'est Lucien, mon ex petit-ami. Celui qui m'a quitté pour ne pas décevoir son meilleur ami. Ma bouche s'ouvre en grand et on se fixe pendant plusieurs secondes. Mon air doit être aussi ahuri que le sien, et ce n'est pas peu dire.

Il a mal vieilli. C'était un très beau jeune homme, mais je le trouve maintenant fade. Sa calvitie très avancée le fait paraître plus âgé, et sa barbe est grisonnante. Si je ne connaissais pas son âge, je lui donnerai la quarantaine. Au moins. Il paraît éprouvé, fatigué et abîmé. Ses yeux verts ont perdu de leur éclat, donnant l'impression qu'il va fondre en larmes à tout moment.

Aimer un hommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant