CHAPITRE 5

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PDV de Tessa

Autrefois, Ruddith et moi avions établi une règle. Bien qu'il me fût interdit de franchir le seuil de la ville, aucun point du règlement de mes parents n'interdisait les récits géographiques. Alors, très tard le soir, Ruddith me narrait ses voyages en Europe, et quelques fois en Espagne ou dans les îles tropicales. Je l'écoutais avec beaucoup d'attention, buvant ses paroles comme je dévorais mes romans préférés, attentive à chaque détail, à chaque nouvelle rencontre. C'était devenu une sorte de tradition entre nous. Un soir, un voyage. Aujourd'hui, si elle était encore avec moi, elle serait probablement fière que pour la première fois de ma maigre vie, je mette enfin les pieds hors des contours grisants de la ville qui m'a élevée.

Je ne connaissais pas l'odeur de la forêt avant ce jour, je n'avais senti que les jeunes sapins fraîchement découpés et vendus sur les marchés de Noël, mais jamais rien de tel. Mon cœur est rempli de nouvelles sensations et de couleurs. Une immense variété d'arbres et de plantes à perte de vue. Magnifique est le premier mot qui me vient à l'esprit pour décrire cette vision unique. Étonnamment, ce lieu diverge de tous ceux que l'on peut apercevoir dans la ville. Il évoque la renaissance, la vie telle qu'on a pu la connaître. Pendant un instant j'oublie tout le reste, mon passé, mon futur, pour ne me concentrer que sur le moment présent, moi, ici, dans cette forêt. Un calme immense s'empare de moi, une béatitude que je ne pensais pas pouvoir retrouver un jour – du moins jusqu'à ma mort.

__ La forêt ne va pas se traverser toute seule, m'informe Ben. Tu me suis ? À moins que tu n'aies changé d'avis.

__ Pour rien au monde. Toi d'abord.

Ben me décoche un sourire satisfait et prend la tête de la marche. Nous entamons à peine le début de notre voyage jusqu'au point d'eau, que je dois déjà lutter contre l'envie de m'arrêter contempler chaque fleur, chaque arbre. J'essaie de capturer autant d'images que je le peux, de mémoriser le maximum de détails. Nous ne marchons pas très vite, pourtant j'ai la sensation que nous manquons chaque miette du paysage. Des auréoles de lumière forment des halos sur le sol verdoyant où branches, brindilles, terre et plantes s'amoncellent. La forêt regorge d'une étonnante variété d'arbres et de conifères, comme le pin, le grand chêne ou le mélèze. Les arbres donnent l'impression de grimper jusqu'au ciel, leur hauteur est si étourdissante que je me sens ridicule à côté d'eux. Mon observation se poursuit silencieusement jusqu'à ce qu'une question revienne en boucle dans ma tête.

__ Comment la forêt a-t-elle pu résister à la chaleur ? je demande à Ben.

__ La forêt a pris plus cher qu'elle ne le laisse paraître, répond-il d'un ton pensif. ( Il se met à désigner quelques arbres les plus grands ) Tu vois ceux-là ? On les appelle des dominants, ils permettent de protéger les jeunes arbres qui supportent mal le soleil dans le jeune âge, ceux-là on les appelle les dominés. Juste au-dessus d'eux, ce sont les codominants. On ne craint rien ici, la chaleur est fortement diminuée grâce à la protection que ces arbres nous offrent. Et il y a plus d'ombre !

__ Je vois, est tout ce que je parviens à dire.

Nous poursuivons le chemin, contemplatifs de la nature. De temps à autre, Ben s'arrête pour s'assurer que nous allons dans la bonne direction, alors j'en profite pour écouter les quelques oiseaux qui chantonnent autour de nous. Ils doivent être contents eux aussi de recevoir un peu de compagnie humaine, parce qu'ils osent même se mettre à portée de nous. C'est une occasion unique.

__ Passe-moi mon arme, dis-je à Ben, sans lâcher des yeux le passereau à quelques mètres de hauteur de là, innocemment posé sur une branche.

__ Je te l'ai déjà expliqué, tu dois apprendre à me faire confiance.

Seven [Auto-édité]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora