Léa

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Le médecin passa. Il l'examina, lui posa des questions. Elle lui avoua qu'elle n'avait pas le moindre souvenir, ni de l'accident, ni de quoi que ce soit d'autre la concernant. Il lui expliqua qu'elle avait subi un grave traumatisme crânien, qu'une telle amnésie n'était pas inhabituelle après un coma prolongé, et qu'elle pouvait déjà se réjouir d'être toujours capable de remuer les membres, de parler et de réfléchir, bref de n'avoir pas d'autres séquelles. Selon lui, les souvenirs lui reviendraient sans doute petit à petit lorsqu'elle retrouverait ses proches et son environnement familier.

Elle s'endormit, soulagée de pouvoir ainsi échapper pour un temps à la confusion qui l'emplissait : quand elle dormait, peu importait qui elle était. A son réveil elle se sentit mieux, car emplie d'une nouvelle certitude : elle avait retrouvé son prénom ! Camille. Elle s'appelait Camille. Camille Moreau ? L'ensemble sonnait bien. Camille Moreau. C'était sans doute ainsi qu'elle s'appelait.

C'est pourquoi elle ouvrit de grands yeux éperdus quand un jeune homme élégant entra en trombe dans sa chambre et se précipita vers elle, l'air à la fois bouleversé et ravi, en s'écriant :

― Léa, mon amour ! Je savais que tu finirais par te réveiller !

Léa ? Ses yeux ronds durent refroidir l'enthousiasme de son visiteur, car il s'interrompit dans son élan et lui épargna ainsi les effusions physiques qu'il semblait sur le point de lui prodiguer. Il la considéra quelques instants d'un air confus avant de déclarer avec un soupir :

― C'est vrai, ils m'ont dit que tu avais perdu la mémoire, mais j'espérais malgré tout que tu me reconnaîtrais. Pardon mon cœur, je ne voulais pas te bousculer. Je suis tellement content de te voir enfin les yeux ouverts ! Tu ne te souviens vraiment pas de moi ?

Il la regardait plein d'espoir, guettant un signe de reconnaissance. Mais le moyen de dire oui quand il était si manifeste que non ? Elle hasarda :

― Vous êtes mon mari ?

Il se décomposa visiblement de s'entendre vouvoyer et acquiesça. Puis il approcha une chaise du lit, s'assit et lui prit la main avec précaution, comme s'il avait peur de la casser.

― Ce n'est pas grave ma chérie. On a tout notre temps maintenant que tu es réveillée. Dès qu'ils me donneront le feu vert, je te ramène à la maison, et tout va finir par te revenir. On reprendra notre vie comme avant.

Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'avait pu être leur vie d'avant, et la perspective de sortir de l'hôpital pour aller vivre avec cet inconnu lui paraissait à cet instant infiniment angoissante. Ni sa présence ni son contact n'éveillaient en elle la moindre sensation de familiarité. S'attendait-il à ce qu'elle partage son lit ? Quelles autres surprises lui seraient réservées une fois arrivée là où elle était censée se trouver chez elle ?

Elle demanda :

― On a des enfants ?

Les yeux de son mari s'embuèrent un instant et il secoua la tête.

― On était mariés depuis trois mois quand tu as eu cet accident. On avait décidé d'attendre un peu que ma carrière soit lancée avant de mettre le premier en route...

― Dis-moi qui je suis, demanda-t-elle tout bas. Parle-moi de nous !

Lorsqu'il fut parti, elle tenta de se composer une image d'elle-même et de sa vie d'avant l'accident à partir de tout ce qu'il venait de lui apprendre. Elle s'appelait Léa et avait vingt-cinq ans. Elle avait rencontré Paul à l'université, où il étudiait le droit pour devenir avocat et elle en vue de reprendre un jour l'étude de notaire de son père. Coup de foudre. Ils venaient de se marier et de s'installer dans un joli appartement en centre ville, proche du tribunal et du cabinet que Paul venait d'ouvrir avec l'aide de deux ténors du barreau local. Ceux-ci l'avaient repéré lors des concours d'éloquence à la fac et autorisé à venir visser sa plaque à côté de la leur, eux qui avaient pignon sur rue depuis plusieurs décennies. La carrière de Paul démarrait sous les meilleurs auspices. Le jeune couple semblait tout avoir pour être heureux. Jusqu'à cet accident de voiture...

Léa n'était pas en tort. Un chauffard l'avait emboutie par l'arrière à pleine vitesse et envoyée faire un tête-à-queue qui s'était achevé brutalement contre un mur. Mais si elle s'était retrouvée dans le coma à l'hôpital, il y avait eu une autre victime, tuée sur le coup. Une jeune cycliste fauchée par sa voiture.

Elle avait tué quelqu'un.

Peut-être avait-il été trop tôt pour demander qu'on lui raconte. Valait-il mieux savoir ou tout ignorer ? Il lui semblait que la page blanche qu'était sa vie encore une heure plus tôt était préférable à la certitude d'avoir la mort de quelqu'un sur la conscience. Ce n'était pas de sa faute, mais. Elle ne se souvenait de rien, mais à présent elle savait et ne pourrait plus jamais oublier. Quoi qu'en pense Paul, il n'y avait plus de retour possible à leur vie d'avant. Plus maintenant.

CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant