Swanson, Oregon [Terminé]

Chapitre 1 - Déménagement

Quelques mois plus tôt.

« Alors, c'est comment ?

- C'est... boisé », répondit la jeune fille d'une voix morne à son téléphone. Sur l'écran, le visage radieux de Shanna contrastait avec le sien, triste et fatigué.

Ça faisait deux mois qu'elle savait qu'ils allaient quitter Saint-Louis dans le Missouri pour aller vivre à l'autre bout du monde, c'est-à-dire l'Oregon. Quand l'heure avait sonné, il n'y avait rien eu à faire. La messe était dite. Cinq heures d'avion avec la famille au grand complet puis quarante-cinq minutes dans une voiture de location pour aller s'installer dans un trou perdu qu'elle détestait déjà. Swanson. Sérieux, même le nom est pourri.

- Montre, montre ! s'écria Shanna. Allez, je veux voir où je vais passer mes prochaines vacances ! Allez Athalia ! Fais pas ta mamie ronchon !

Athalia soupira et plaqua l'appareil contre la vitre de la portière pour qu'elle aussi puisse profiter du paysage.

– Eh mais c'est hyper joli en fait ! Je croyais que t'allais vivre genre en Corée du Nord ou en enfer.

– Ah, tu vois, même Shanna trouve que c'est bien, fit aussitôt remarquer sa mère avec un sourire satisfait qui lui arracha une grimace.

Athalia haussa les épaules, elle s'en fichait bien. Shanna avait beau être sa meilleure amie, c'était pas elle qui était exilée ici.

– C'est pas parce que Shanna trouve ce coin paumé « joli » que je vais apprécier d'y vivre, moi. Je hais cet endroit. Ça craint.

– Tu connais pas encore, lui rétorqua sa mère en roulant les yeux.

– Si : des arbres, des arbres, un caillou, des arbres, un écureuil crevé, énuméra-t-elle d'une voix narquoise qui fit pouffer Shanna. Nul, nul, nul, tout est nul, méga nul, c'est pire que Saint-Louis.

Elle surprit le regard que ses parents échangèrent en silence ; le genre de regard de parents blasés par leur ado de seize ans. Ils n'avaient qu'à pas déménager s'ils ne voulaient pas qu'elle fasse du mauvais esprit, aussi. Elle n'avait vraiment pas envie de leur faciliter la vie ; ils n'avaient pas facilité la sienne, après tout.

– Il y a le téléphone, l'ordinateur, facebouk, touiteur... Les filles, vous pourrez continuer à vous parler, ajouta son père en lui jetant un coup d'œil dans le rétroviseur. De mon temps on n'avait pas internet et tout ça. Si on voulait garder le contact, c'était par courrier. Ou le téléphone fixe, mais ta grand-mère ne me laissait pas —

– Ouai, et t'avais pas tous les jeux vidéo qu'on a maintenant, tu recevais seulement une orange à Noël et les dinosaures courraient dans les plaines.

- Athalia ! s'écria sa mère.

– Lara, laisse-la faire, lui souffla-t-il. C'est normal. Ça va passer. »

Non, Athalia n'a vraiment pas envie de leur ménager la tâche.

- Tu me diras s'il y a des magasins intéressants dans le coin ? lui demanda Shanna une fois son fou rire terminé. Comme t'es près du Canada tu dois avoir plein de produits différents en boutique.

– Y aura rien à Swanson même. C'est déjà un miracle qu'ils aient un lycée..., » grinça-t-elle en ignorant l'énième regard fatigué que sa mère lui envoya par dessus son épaule et continua : « c'est à une demi-heure de Portland, je te dirais si je trouve des trucs là-bas. C'est pas gagné...

- Je peux te faire une liste si tu veux. Ça te motiverait si je te fais le SPC ?

Athalia se mordit les lèvres pour se retenir de sourire à cette pensée. Shanna était belle, très belle, elle le savait et en jouait. Avec sa peau mate, sa bouche pulpeuse, ses yeux brûlants et son caractère de feu, elle ne laissait personne indifférent. Aussi dès qu'elle commençait le SPC, aussi appelé "Sexy Petit Cochon" (un mélange de danse lascive et l'imitation ratée d'un cochon qui louche) c'était impossible de ne pas rire. Elle avait beau lui répéter que c'était exactement la même chose que de voir Chris Hemsworth avec des palmes faire des claquettes dans du sable, ça l'encourageait dans son vice.

Elle baissa le son de son téléphone quand les cris du SPC envahirent la voiture, même si personne n'eut l'air très surpris. Tout le monde connaissait Shanna et son absence de retenue. Les deux copines étaient toujours fourrées ensemble depuis la première année d'école ; à force elle faisait partie de la famille.

Sauf qu'elle déménageait.

Swanson, c'était loin de Saint Louis. Plus de trois mille kilomètres. Loin de ses amis, de son lycée et de Shanna.

Sa meilleure amie faisait l'andouille à l'écran pendant au moins deux minutes quand une silhouette passa derrière elle et se rapproche de son ordinateur. Aussitôt le visage d'Athalia se figea pour se transformer en rictus douloureux. Elle ne voulait rien montrer de sa peine et retint un sanglot lorsque le visage de Max apparut, avec son espèce de sourire mi-triste mi-goguenard habituel.

Swanson, c'était loin de Max.

- Bah alors, t'es toujours pas arrivée ? Tu t'es paumée dans les toilettes de l'aéroport ou quoi ? Lui lança Max d'une voix un peu rauque en passant sa main dans ses cheveux courts.

Athalia l'avait déjà remarqué : elle faisait toujours ça quand elle était triste ou préoccupée.

- On arrive bientôt ? geignit sa petite sœur à côté d'elle. J'ai mal aux jambes et j'ai presque plus de batteries !

- Emily, on arrive dans 20 minutes maximum, lui répondit sa mère en tripotant le GPS. T'as qu'à prendre ma batterie externe si c'est vraiment nécessaire, au moins elle aura un peu servi.

- J'en ai marre, bouda-t-elle en farfouillant dans le sac. Elle est où ? Je la trouve pas.

- Dans la poche avant.

Emily retourna pratiquement tout le sac avant de se rendre compte que c'était Kyle, assis sur la banquette arrière, qui l'utilisait depuis leur départ de l'aéroport.

– Kyle ! Passe-moi la batterie, steuplait.

- Dans tes rêves, j'ai pas fini de l'utiliser.

- Maman a dit que tu devais me la passer !

– N'importe quoi.

- Maman ! hurla Emily en le foudroyant du regard. Maman, y a Kyle qui refuse de me passer ta batterie ! J'en ai hyper besoin !

- Il reste vingt minutes de route ! Vingt ! Tenta de la raisonner leur mère d'une voix fatiguée. Tu ne peux pas juste attendre ?

– Non !

- Désolée Shanna, tempête en approche, j'ai pas envie que tu assistes au massacre, annonça Athalia en envoyant une salve de BEP (Bises Extrêmes de Porcelet) à son écran. Salut Max, » ajouta-t-elle en souriant tout en essayant de rester le plus neutre possible.

Shanna n'était pas au courant pour elles deux, et Athalia ne savait pas si elle devait le lui dire. Pourtant, elles partageaient toujours tout. Shanna ne lui avait jamais épargné les détails de toutes ses relations ; seulement là c'était un peu différent, se justifiait la jeune fille.

– A plus, lui répondit Max un air faussement nonchalant – sa main faisait des aller-retour dans sa chevelure depuis tout à l'heure.

– Et préviens-moi si ya des beaux mecs ! eu juste le temps de claironner Shanna avant qu'Athalia ne termine l'appel vidéo.

Le portable éteint, la jeune fille se réinstalla confortablement sur son siège pour assister à la cent douzième dispute de la journée. Emily, petite sœur pénible de quatorze ans, portable à trois pour cent de batterie et au moins une vingtaine de photos à liker sur instagram, affrontait Kyle, le grand-frère borné de dix-neuf ans qui n'en avait absolument rien à secouer d'elle. Il ne manquait plus que les pop-corn. À côté du frère, Sydney, la grande sœur modèle de vingt et un ans, parfaite, belle et tellement mature, dormait comme un ange. Et elle, elle s'en fichait pas mal de déménager puisque toutes ses amies étaient déjà parties de Saint-Louis avant elle. Elle pourrait s'en aller si elle le voulait. Sauf qu'elle reste avec nous, je sais pas pourquoi. Ça doit compter pour elle, la famille. Moi, si je pouvais, je partirais loin de cette maison de tarés. Je retournerais à Saint-Louis, avec Shanna.

Et Max. Surtout pour Max, en fait. Mais de toute façon c'était fini, à présent.

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