Qui es-tu ?

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Après trente minutes de trajet, ponctuées par le cliquetis occasionnel de mes clignotants et le vrombissement du moteur, les mains toujours nouées entre ses jambes et le visage orienté vers sa fenêtre, il déclare :

- Je n'ai pas envie de vous tuer...

Ce sont les seuls mots qu'il prononce jusqu'à ce que les roues du véhicule s'engouffrent dans l'allée donnant sur ma villa. Il s'agit d'un vaste bâtiment situé au bord d'une route plutôt isolée – la quarante-quatre – et bordée tout du long par une forêt. En d'autres termes, il est cerné d'arbres.

- ... Madleen Stevens.

Dans un sursaut, je lâche les pédales, le volant avec, la voiture cale et nos regards s'accrochent malgré les soubresauts subis par l'engin. Le petit malin cligne des yeux, l'innocence incarnée.

Un tueur à gages.

Les battements furieux de mon cœur se déplacent de ma poitrine à mes tempes, tandis que mon taux d'hormones grimpe en flèche. L'anarchie règne en mon for intérieur, audacieux mélange de plaisir, d'appréhension, de défi et de muscles bandés.

- Comment...

Je laisse ma phrase en suspens à la vue de ma carte d'identité, coincée entre le pouce et l'index qu'il agite devant moi. Une seconde s'écoule avant que je jette un œil sur la banquette arrière, là où la fermeture Éclair de mon sac paraît inviolée.

Ma tension subit une chute libre étourdissante.

Doué. Très doué, même ; mais pas tueur à gages. Ce genre de spécimen connaîtrait les noms, prénoms, coordonnées, fréquentations, hobbies, marque de mouchoirs et moyenne de passages quotidiens sur le trône de ses cibles, grâce à des heures de recherches dûment menées, espionnages ou informations livrées par l'employeur.

- Madleen Stevens, vingt-trois ans, un mètre soixante-dix, originaire de Liberty. Loge au numéro quinze de la route quarante-quatre, à Golden-City, dans l'État de l'Illoa. Très bonne situation financière. Métisse, d'origines norvégienne et martiniquaise.

Il brandit le passeport caché sous sa cuisse, puis le porte-clefs représentant la carte de l'île caribéenne initialement pendue à l'anse de mon sac à main.

- Pas mal. Je n'ai pas pour habitude de me faire surprendre. (Mon cœur cogne d'autant plus fort dans ma poitrine) Et maintenant ?

Avantage pour la Mort, mais je suis tenace.

J'inspire l'air émoustillant du danger.

- Maintenant, je te connais, Madleen, déclare-t-il avec un sourire, si grand qu'il n'en paraît que plus angélique. Je peux ?

Je hoche la tête et il se penche pour ranger mes biens à leurs places. Sitôt fait, je les récupère, descends de voiture et l'accule contre la carrosserie. Du moins, je compte l'acculer, puisquel'homme a vite fait de conserver une certaine distance entre nous.

Sur le qui-vive, il m'adresse un regard acéré.

La pluie s'est entre-temps amoindrie, se contentant d'accentuer les frisottis de mes cheveux et de diluer mon mascara sur mes joues.

- Émile, alias E94-S, un mètre quatre-vingt-dix, environ mon âge, espace vital de grande ampleur, tueur aguerri et ayant suivi un entraînement de pointe. Comporte quelques atypies mentales.

La tension qui conditionne la dureté de ses bras en dit long sur son humeur. Il les maintient pressés contre son corps. 

- J'ai vingt-cinq ans, Madleen Stevens, me corrige-t-il. Quant au reste, j'aimerais être en mesure de te le renseigner.

The Defenders (Mercenaires casqués) T1Where stories live. Discover now