Chapitre 2

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Je me lève en baillant. Le soleil éclaire ma chambre m'annonçant une journée rayonnante...enfin,je l'espère. Je ne prends pas plus de huit minutes sous la douche et m'habille rapidement n'ayant qu'une hâte : manger. Je n'ai pas dîné hier soir et je le regrette amèrement. Oubliant ma santé qui doit me sermonner et en avoir marre de mes écarts, je me jette sur le Nutella et en abuse légèrement. Enfin, légèrement...
Je rendrai n'importe quel service à celui qui l'a inventé, tellement je lui en suis reconnaissante !
En m'asseyant devant la télé, je me perds dans mes pensées. Je ne sais pas quoi faire aujourd'hui. Passer la journée à me prélasser tranquillement ?

Cette nuit, c'est la première fois depuis la mort de ma mère que je ne fais pas de cauchemar. J'ai eu un sommeil paisible, dispensé de rêves ou cauchemars. Certes, je suis loin de m'en plaindre... Mais j'ai si peur de me faire des illusions, de ne jamais être en paix avec moi même.
Et si cette douce nuit concluait la promesse que je me suis faite ?

C'est donc décidé, aujourd'hui je vais rendre visite à mon père. Je ne peux pas éviter la confrontation bien longtemps.
Je vais lui dire ce que j'ai sur le cœur, lui dire qu'il va devoir arrêter d'enchaîner les délinquances comme un gamin rebelle, lui dire que s'il ne me montre plus la moindre attention, la moindre trace d'amour, je ferais pareil et j'arrêterai tout.
Je ne lui courrais plus jamais après.

Une fois arrivé au parloir, je regrette de ne pas avoir pris de Doliprane. Ma tête me lance horriblement et j'espère pouvoir parler dignement à mon père malgré ça. Néanmoins, j'essaye de garder la tête froide et je me répète sans cesse mes résolutions.
Un garde me fait entrer et surveille la conversation à l'écart.
Mon père est mal rasé, il a les cheveux coupés courts (d'habitude il en est tellement fier...), des cernes aussi noires que ses yeux et il a encore maigri.
Le voir ainsi me serre le cœur. Je ne me rappelle presque plus à quoi il ressemblait joyeux et en bonne santé. Pas à ça en tout cas.

- Bonjour.

Sa voix est rocailleuse avec une intonation lasse. La mienne est tout aussi lasse lorsque je lui réponds, sans prendre la peine de lui rendre le
salut :

- C'est pour quoi cette fois ?

Il "purge sa peine" depuis plus d'un mois mais je n'ai pas eu la force de lui rendre visite. La police m'avait simplement téléphonée pour me prévenir, sans entrer dans les détails.

- Trafic de drogue et violence volontaire, m'informa-t-il en haussant les épaules.

Il touche le fond. Cela fait longtemps qu'il ne s'était pas approché du monde de la drogue. Quels étaient les dernières causes ? Vols à l'étalage répétitifs, violences volontaires, tient des propos dégradants envers un officier de police... Et maintenant, trafic de drogue.
Lorsque je reprends la parole, mon ton est autoritaire et mon expression défiante :

- Alors tu vas m'écouter. Tu vas te tenir à carreaux, sortir d'ici et ne plus faire aucune crasse. Tu vas reprendre ta vie en main. Trafic de drogue ? Tu te rends compte que ton casier judiciaire est blindé ? Je suis la seule famille qu'il te reste et, si tu veux te retrouver seul à croupir dans une prison moisie à vie, alors très bien. T'as intérêt à te ressaisir parce que je ne compte pas gâcher ma vie auprès d'un idiot borné comme toi.

- Tu n'as pas à me parler comme ça je suis ton père ! il s'énerve les joues rouges.

Je me retins de répliquer : " Non, tu te trompes de film, je ne suis pas Luke et tu sembles plus te croire dans Scarface."
De plus, j'ai l'impression de gronder mon adolescent de quinze ans.

- Au vu de la génétique tu es mon père, effectivement.

Je fronce les sourcils "À moins que tu ne m'ais pas tout dit ". Je regrette aussitôt mes pensées. C'est à mon père que j'en veux, pas à ma mère.

- Mais à mes yeux, je reprends, tu n'es pas un père. Pas un bon père en tout cas. Un bon père est fort et présent au côtés de sa fille, un père ne ferait jamais enduré ça à son enfant. J'ai dû grandir, me construire, toute seule, sans aide, ni maternelle, ni paternelle.
Tu n'es pas présent pour moi. Ça fait treize ans que tu ne l'as pas été. Mais m'aimes-tu seulement ?

- Bien sûr que je t'aime ! il s'offusque.

Cette fois, je perds mon air sévère pour laisser couler quelques larmes. Je souffre. Je souffre de ce manque d'amour parental. Et j'en ai plus qu'assez de devoir être forte et d'endurer en silence. Cela fait plus de dix ans. Ça a trop durer.

- Alors pourquoi tu me fais ça ? je m'écris la voix tremblante. Tu me fais vivre l'enfer ! Tu es ma seule famille, je n'ai plus personne. Moi aussi j'ai perdu maman. Tu l'as connu plus longtemps que moi, j'ai vécu sans mère. Tu crois que c'est plus facile ? De regretter chaque jour sa présence ? De me sentir hypocrite parce que je l'ai connu si peu de temps, que j'ai si peu de souvenir d'elle et que pourtant je me réveille en larmes à regretter sa présence ? Sois heureux d'avoir pu la connaître plus de cinq ans.

Mes mots semblent le percuter. Un éclair de compréhension et de lucidité passe dans ses yeux. Une ombre de tristesse assombrit son visage.

- Tu as raison, je...je m'excuse. Je te promet de redevenir un bon père...de..de ne plus retourner en prison.

C'est la première fois qu'il me fait cette promesse. Malgré les hésitations qu'il a je sens qu'il n'y aura pas besoin de débattre plus. Il m'a fait une promesse. Et j'ai foi en elle. En lui. C'est un homme d'honneur, il ne rompt jamais ses promesses. Enfin, c'était...

- Merci, je soupire de soulagement.

- Tu me pardonnes ? il demande la voix hésitante.

- Que puis-je faire d'autre ?

Il hoche la tête et une larme coule de ses yeux rouges et cernés. Une seule, qui scelle sa promesse. Je lui presse la main, faute de pouvoir le prendre dans mes bras. Nous restons une minute à nous contempler silencieusement comme si nous nous retrouvions enfin.
Je me lève à la demande des gardes, et salue mon père, sa promesse flottant entre nous comme la colle d'un lien qui se briserait sans elle.

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