Chroniques de Marchombres

Miroirs Invincibles

« Les frontières de glace sont connues de tous pour être majestueuses et imposantes, mais il est aussi totalement légitime d'affirmer qu'elles sont par endroits impénétrables, surtout dans les environs de l'aiguille d'Obrevois. Même pour moi. Non, ne vous méprenez pas...Nul besoin d'être un expert pour s'attaquer à la façade dentelée qui compose le mur. La difficulté est toute autre, en chacun de nous, nichée, une voix silencieuse nous interdit l'ascension et il est strictement impossible de la combattre. Personne n'a pu à ce jour percer ses secrets, mais il est probable que l'écho décourage à l'aide de nos plus grandes faiblesses et de nos secrets les plus enfouis. Quoiqu'il en soit, la légende raconte qu'un enfant, une nuit d'automne, a su braver l'entité sourde. Un exploit qui ferait de lui l'homme le plus courageux de tous les mondes et de tous les temps... Balivernes ! »

Azeus Tovonan, Mémoires d'un invincible thül.

Au nord, près des ruines d'Al-Poll et des montagnes les surplombant, était né Volto Alhuin. C'était une des matinées les plus glaciales qu'ait connu l'Empire depuis trois-mille ans et personne ne nourrissait un seul espoir sur ses potentielles chances de survie. Mais contre toute attente, l'enfant avait survécu, ayant déjà à l'aube de sa vie accompli un miracle. Un miracle qui façonna son être, pénétrant sa chair et faisant de lui l'une des personnes les plus résistantes qui n'ait jamais été. Ce même moment qui, alors qu'il n'était âgé que de quelques minutes, lui mit entre les mains quelque chose de grand et d'irrévocable : une destinée, celle d'un homme d'exception, voire davantage encore. Un peu plus tard, il apprendrait à faire corps avec la nature, avec le monde et avec lui-même, se jouant de la solitude et de la profonde mélancolie qui émanait du nord. Et cela tombait bien puisqu'il n'y avait en fait personne là-bas pour le considérer, il était seul, ou pour être plus précis, ils étaient beaucoup trop. Ses parents l'avaient eu à contrecœur, comme la plupart de ses frères et sœurs, et leur manque de prudence les avaient fait grandir une famille de huit enfants dont le plus chéri d'entre eux avait probablement été aimé dix fois moins que dans un foyer moyen d'Al-Jeit, la capitale. Cela fit que malgré l'aura extraordinaire que dégageait déjà Volto, personne ne s'attacha à lui et il ne s'attacha à personne en retour. Du moins, c'était comme cela jusqu'à l'aube de sa neuvième année : un moment crucial, celui-là même qui ébranla ses certitudes et qui fut, sans aucun doute, son second miracle.

Au village, on annonca des nouveaux venus. Une petite famille de pionniers itinérants. Ils faisaient partie des rares qui osaient s'aventurer si loin au nord puisque malgré les temps relativement calmes et la paix ambiante, la prudence restait de mise. Mais les arrivants n'en étaient pas à leur coup d'essai, c'était une famille forgée dans l'acier et même les enfants semblaient être faits pour cela, ne posant aucune question et se fondant dans la masse, ne se plaignant jamais du froid et du néant. L'un était une jeune fille d'environ 15 ans, à la maturité impressionante et à la volonté de fer, et l'autre un garçon, un peu ailleurs mais qui rentrait dans les rangs, sûrement par pure nécessité. Les semaines passants l'on se rendit compte que ce dernier n'était pas à sa place et que son sérieux n'était que de façade. Là ou ses proches l'auraient voulu voir s'intéresser à leurs affaires, l'enfant lui, préférait s'évader. Il passait le plus clair de son temps à marcher et à courir, souvent le plus loin possible, et personne ne se serait étonné de le voir essayer de voler. Il n'avait que neuf ans et pourtant son énergie paraissait n'avoir aucune limite. Il pouvait sans grand effort faire le voyage jusqu'au pied de la chaîne du Poll, le plus souvent en seulement quelques heures et revenir tout aussi excité qu'il ne l'était en partant. Cela ne faisait pas de doute qu'il était spécial, d'une joie qui, malgré les remontrances constantes que ses écarts lui valaient de la part de ses parents, restait parfaitement intacte. Tous s'accordaient à dire qu'il semblait venu d'un autre monde, d'une pureté sans pareille, d'une honnêteté sans faille...et pourtant plein de secrets. « Comment diable faisait-il ce garçon, de quoi pouvait-il être fait et avait-il seulement des faiblesses ? » telles étaient la majorité des questions que se posaient les villageois à son égard. Et bien qu'elles soient restées des mois durant sans réponse, un quelque chose semblait peu à peu s'installer dans les plaines, une inquiétude. Etait-ce lié à cet ami, ce Volto ?