La Peste...

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« Souvent, les femmes d'Al-Far sont considérées comme étant trop ambitieuses, trop dures et trop sûres d'elles. Cette vision caricaturale est en fait celle d'hommes qui, craignant d'être défiés de la sorte, semblent tenter de protéger leur soi-disante virilité. Ils se voilent la face, ces défauts qu'ils pointent du doigt ne sont que le résultat de leur méfaits. Ces femmes s'endurcissent, jusqu'à devenir des êtres redoutables...et quand on en entend leur reprocher cette force de caractère, c'est surtout parce qu'ils la craignent. »

Yzanis Kloasrof, à ses employés.

De toit en toit, elle virevoltait. Sans aucune hésitation elle se laissait parfois tomber, ne se rattrapant qu'au dernier moment et s'évitant une mort certaine. Cette ville était son terrain de jeu, l'homme qui fuyait, un simple pion. Tôt ou tard elle le rattraperait, cela ne faisait aucun doute, alors autant faire de cette course-poursuite une partie de plaisir. Elle décida de lui accorder un temps d'avance, et en profita pour admirer l'horizon. D'ici, elle se sentait dominer le monde entier. Son regard se promenait des tours aux extrémités biscornues jusqu'aux ruelles sombres beaucoup plus bas. Derrière elle se dressaient des passerelles vertigineuses, des commerces florissants et au loin, le palais d'argent, son éclat rivalisant avec celui de la lune. Elle reprit ses esprits et s'aperçut que l'homme en fuite était déjà loin, s'étant dirigé vers un endroit inhabité de la cité : les ruines d'Avogar. C'était le lieu le plus vide et lugubre à des kilomètres à la ronde, mais aussi celui qu'elle connaissait le mieux. Il était emprunt des cultures de l'autre monde, et par respect pour ses bâtisseurs, n'avait jamais été rénové. Alors que l'aube pointait son nez, Isaya s'arracha à ses rêveries et reprit sa course. Déterminée, libre, et tout simplement heureuse.


Le jeune homme pensait être tiré d'affaire, il avait tort. Par sûreté, il avait décidé de se fondre parmi les débris d'Avogar : une cachette certes, mais aussi un tunnel étroit qui n'offrait aucune porte de sortie. Malheureusement pour lui, la jeune fille ne l'avait pas quitté des yeux et il s'apprêtait à regretter son manque de perspicacité. Elle approchait dans l'ombre d'une gigantesque pierre arquée, un sourire de satisfaction naissant sur son visage encore adolescent. Dans l'obscurité totale de la grotte, elle parvint à mettre son adversaire hors d'état de nuire, le tout avec une rapidité déconcertante. Il n'eut d'autre choix que de se laisser faire, honteux d'avoir été trompé. Tout s'était passé sans le moindre bruit, malgré le fort écho présent dans la caverne, mais alors qu'ils se trouvaient face à face, la tension qui régnait d'abord sur les ruines abandonnées se transforma en un silence de mort. Il était fichu et il le savait. Alors, sûrement pour se donner une constance, il brisa le pacte qui scellait les roches poussiéreuses à l'intemporalité prégnante de la caverne. 

Il prit la parole, feintant l'assurance.

- Tiens, l'héroïne d'Al-Vor a encore frappé, à ce que je vois. Pas trop compliqué de jouer aux justicières ces temps-ci ? Enfin...je veux dire, pas de remords vis-à-vis de tes parents ? Tu devrais faire gaffe, ils seraient sacrément surpris d'apprendre que leur fille s'amuse à passer la nuit en compagnie de mauvais garçons dans mon genre. 

Isaya retint un pouffement de rire. Celui qu'elle avait pris pour une menace n'était rien d'autre qu'une vieille connaissance, un garçon un peu plus âgé qu'elle et qui devait dans toute cette histoire n'avoir qu'un rôle mineur. Elle se rasséréna, bien qu'un peu déçue.

- Toujours aussi présomptueux..., mais je suis désolée Toby, ton sens de la repartie semble s'amenuiser de jour en jour. D'ailleurs, ne le prends pas mal mais t'as sacrément vieilli, t'es rouillé mon vieux !

Il ignora la remarque désobligeante et décida de mettre court à la discussion, ces plaisanteries n'avaient pas lieu d'être.

- Bon, j'imagine que c'est fini pour moi. Je doute que Mademoiselle me rende ma liberté...
Il marqua une pause.
...tout comme celle des autres d'ailleurs. 

Isaya voulut répondre mais il reprit aussitôt.

- Tu penses bien agir Isaya, et sache que je ne t'en veux pas. Mais...tu ne te rends pas compte du poids de tes actions. Chaque personne que tu livres à Gil'Roet a une histoire, des raisons de faire ce qu'elle a fait. Tu vis dans un palace par rapport à nous autres, difficile de voir les vertus du vol dans ces conditions...

Alors elle prit la parole.

- Tout ça ne m'amuse pas figure toi, mais j'ai la conviction d'aider Al-Far sur le long-terme en agissant ainsi. Je n'ai rien contre toi, contre vous, mais vos actions répétées perturbent la ville. D'une simple personne peut naître une organisation alors incontrôlable, je me bats contre ça, c'est tout.

- Mmhh, je sais que tu vaux mieux que ça. Le seigneur à beau t'avoir dans ses filets, un jour tu comprendras et tu te mettras enfin à penser par toi-même. Tu verras. 

Après ça, il se tut. Il savait ce qui l'attendait, il aurait dû faire les choses autrement, mais ne s'en voulait plus. Ce jour devait bien arriver. Alors, il ne se défendit pas lorsqu'elle lui imposa de la suivre. Ils traversèrent le champ de débris, passant à proximité d'une fresque à l'origine beaucoup trop lointaine pour qu'ils ne la reconnaissent. Une relique des pionniers de Gwendalavir. Ironie du sort. C'était le jugement dernier.



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⏰ Last updated: Apr 20, 2019 ⏰

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Chroniques de MarchombresWhere stories live. Discover now