Chapitre 1

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  TOUT A COMMENCE DANS CETTE colonie de vacances. C'est pas une très belle histoire à raconter, pas bien héroïque, et j'aurais tout intérêt à plutôt taire ces faits, mais j'estime important de transmettre tout ce qu'on a vécu, et de mettre les gens à notre place pour nous faire comprendre.

J'étais donc arrivée dans cette colonie de vacances il y avait une semaine de cela. Les activités qu'on nous y proposaient étaient assez intéressantes, mais pas bien intenses, ça manquait de peps. Par contre elles étaient fatigantes, ça je le leur accorde sans problème, alors que j'étais en train de resservir ma portion de fraises et de crème battue, le plateau déjà bien lourd, avec deux cookies géants, une tranche de pain perdu, une moitié d'avocat dont une cuillère d'œufs brouillés remplaçait le noyau, du bacon, une petite pile de gaufres parfumées d'un arôme d'eau de fleur d'oranger sur laquelle un filet de sirop d'érable ruisselait, une belle part de tiramisu et un grand ramequin de mousse au chocolat. Je me souviendrai toujours du regard de Bryan que j'avais réceptionné alors que nous posions nos plateaux sur une des tables de pique-nique en bois de la plaine.

-Tu vas manger tout ça ?? a-t-il demandé, dubitatif et prêt à me rabâcher les oreilles avec son foutu gaspillage.

-Mais oui chéri, compte sur moi là-dessus, ai-je répliqué.

Puis j'ai jeté un coup d'oeil à son propre plateau, où une simple moitié d'avocat résidait, avec pour compagnie une pile de tranches de bacon et des œufs brouillés.

-C'est pas parce que tu manges moins qu'une meuf anorexique hybride-moineau et haute comme trois pommes que tout le monde mange forcément comme une anorexique hybride-moineau haute comme trois pommes, est intervenue Claudia à ma place.

-Bien dit ! me suis-je exclamée avant de fourrer une grosse cuillère de fraises et de crème dans ma bouche tout en me disant qu'il me manquait quelque chose.

Bryan aurait pu en rester là et ne rien répondre, mais il a quand même insisté :

-En tout cas j'espère bien pour toi que tu ne vas rien laisser, parce que de la nourriture gaspillé, c'est de la nourriture que d'autres personnes n'auront pas eu. Du coup pour nourrir ces personnes-là on va encore produire plus, bien plus que nécessaire, et ainsi épuiser les beaux nutriments de cette pauvre terre, et dans quelques siècles,ou qui sait, quelques années, cette dernière n'aura plus rien à nous offrir ! Et on sera bien embêté, surtout ces abrutis d'américains avec leurs fast food de mauvaise qualité et les forêts qu'ils déciment pour leur nutella, et ces crétins de chinois avec leurs usines à la con qui rapportent des bénéfices qu'à une seule personne ! Ils préfèrent sacrifier l'irréparable, sacrifier l'environnement et l'humanité pour l'affaire d'une vie d'hôtels deluxe...

-BRYAN, ai-je dit d'une voix posée. On t'aime beaucoup, mais t'estrès chiant quand tu fais ça.

-Faire quoi ? Défendre l'humanité ? Te rappeler que ce que tu fais est purement dégueulasse et égoïste ? Désolé d'éveiller ta petite conscience et ta culpabilité, désoler d'être celui qui dit haut et fort la vérité que tout le monde essaye de minimiser...

-Tu vois Bryan, si je ne m'étais pas resservie des fraises, j'aurais eu encore faim en sortant de table, alors je serais allée m'acheter un paquet de minis mars au distributeur et j'aurais jeté les emballages vides dans une poubelle, prenant parti à la pollution avec mes déchets en plastique. 

Sur cette tirade, fière de lui avoir cloué le bec, je me suis levée,mon maxi-gobelet à la main, et suis allée me servir un jus d'orange. J'actionnai l'ouverture, mais elle était bloquée. Je mis alors davantage de force dans mon mouvement, en vain. Commençant sérieusement à m'énerver sur le distributeur, je ne vis pas immédiatement la main entrer dans mon champ de vision. Ce n'est que lorsque les longs et agiles doigts se sont enroulés autour des miens que j'ai pris conscience de la présence à côté de moi. La main posée sur la mienne a exercé une petite pression sur mes doigts pour m'inciter à appuyer vers le bas sur le robinet, et cela enclencha le flot de jus dans mon gobelet. Je dirigeai mon regard vers le propriétaire de la main, pour le remercier, et tombai nez à nez avec un visage absolument magnifique, à la forme anguleuse et au front masqué d'une épaisse frange sur le côté retombant jusqu'à passer devant son œil gauche. Et quel œil !En amande, d'une belle couleur bleu sombre, qui donnait envie de s'y perdre, sans oublier ces lèvres rose pâle, fine et légèrement courbées en un sourire, bon,peut-être moqueur, mais absolument irrésistible...

-Fais gaffe ça va déborder, articulèrent ces lèvres qu'on avait envie de toucher du bout des doigts, d'effleurer, d'embrasser...

Je pris quelques secondes à capter le sens de cette phrase, et les conséquences furent immédiates : ma main se retrouva submergée d'un liquide froid, et je me concentrai aussitôt sur l'art de fermer le robinet et de libérer ma main du gobelet afin de la secouer et de l'essuyer.

Je repartis alors en direction de ma table, les joues encore en feu et n'osant plus regarder de nouveau cette expression moqueuse qui m'avait fait beuguer pendant cinq secondes. Concentrée sur mon verre afin d'éviter de renverser le contenu à ras-bord sur le sol, et encore perturbée par la beauté foudroyante du garçon, je ne vis pas arriver quelqu'un en travers de mon chemin, et fonçai droit dedans, renversant, cette fois entièrement, mon verre, et sur la personne en plus. Je relevai la tête, prête à m'excuser rapidement et à replonger dans mes délicieux souvenirs encore frais du visage du garçon, mais mes plans s'avérèrent morts pour cette fois, parla marque de colère qui me sauta aux yeux.

-Putain tu pouvais pas faire attention ??! s'exclama le mec sur le pull duquel j'avais répandu ma boisson.

Je fronçai les sourcils.

-Ça va, pas la peine de crier. C'est juste un peu de jus, mec,déstresse.
- Non mais je rêve, tu me renverse un maxi-gobelet tout froid sur ma seule veste disponible et tu me lâches un« déstresse » ??!

-Qu'est-ce qui s'passe, t'as un problème avec ma pote pour lui gueuler dessus comme ça ? intervint Bryan, qui s'était levé de notre table, à moins de deux mètres.

-Mais de quoi tu te mêles toi ?? continua à rager l'autre abruti. Tu crois pas qu'elle est assez grande pour gérer ça et s'excuser toute seule, ta pote ??

-Mais baisse d'un ton putain, c'est juste un foutu verre de jus d'orange et un foutu pull, s'agaça Régis qui s'était aussi levé et qui avait contourné la table pour s'approcher.

-Toi déjà recule connard, s'emporta le haineux en prenant l'incrustation de mon ami pour une menace ou je sais pas quoi.

-Bordel calme-toi mec, se défendit-il en avançant les mains pour faire un signe d'apaisement, geste que le garçon, hors de lui, avait pris pour un début d'attaque, et avait tout de suite riposté par un violent coup de poing dans la clavicule du yogi.

-Eh mais d'où ??? s'insurgea Claudia qui venait de porter son attention à la scène et qui se leva à son tour, tandis que déjà le poing de Bryan s'abattait sur la mâchoire du rageux.

C'est ainsi que commença la bagarre. J'étais d'abord intervenue en leur criant qu'ils étaient des animaux brutaux bêtes et prétextes à la moindre altercation pour cogner, puis le rageux m'a crié de me la fermer moi la-pétasse-qui-est-pas-foutue-de-regarder-son-chemin-et-mal-polie-en-plus-car-n'est-pas-foutue-de-s'excuser,et Bryan avait tourné la tête vers moi, quelque peu agacé par mon interruption, et m'avait demandé posément si maintenant je l'autorisais à, je cite, désamorcer sa gueule à ce ptit con,requête à laquelle j'ai répondu à l'affirmative, outragée par l'insulte de l'autre inconnu.

Mais dans la même minute un animateur intervint au pas de course et sépara les énergumènes en leur gueulant qu'ils ne connaissent pas les règles de vie du camp ou c'est comment, et que c'est qui qui a commencé d'abord.

Bryan répondit par un coup de menton accusateur vers son adversaire, ce dernier eut le culot de lâcher un « elle » dans ma direction, et, en fidèle amie, j'entraînai Claudia dans ma merde,qui elle balança Régis.

C'est ainsi qu'on s'est tous retrouvés en « pièce de pénitence » pendant toute la mâtinée alors que je visais une activité légèrement plus intéressante pour ces heures-là (glander).


C'est donc ainsi que nous nous sommes retrouvés sur la scène de l'action,et c'est donc ainsi que cette histoire a débuté.

des nuages plus grisWhere stories live. Discover now